C’est un des sujets les plus débattus aujourd’hui par les politologues, les médiologues et les sociologues. La sophistication des moyens de communication donne désormais la possibilité à l’opinion de s’exprimer sur tous les sujets en court-circuitant les médiations traditionnelles, surtout les institutions dites représentatives. On parle de démocratie d’opinion et, à l’encontre des critiques évidentes que ce nouveau système soulève, certains mettent en avant son adéquation avec les avis des citoyens, leur libre expression à travers les réseaux du net et le verdict des citoyens en temps réel, grâce aux sondages sur les moindres décisions des autorités politiques. Au demeurant, comment s’opposer à une évolution massive qui rejoint ce que Tocqueville discernait dans l’avènement généralisé de la démocratie ? La question serait donc d’éduquer l’opinion au XXIe siècle, comme on a éduqué le suffrage des citoyens au XIXe siècle.
Sans vouloir régler un débat qui risque de s’éterniser, on soulignera que Tocqueville a toujours été l’observateur très critique de l’évolution qu’il constatait et que l’opinion est à la fois la meilleure et la pire des choses. Elle peut tout aussi bien, par exemple, rendre justice à l’innocent que lyncher sans scrupule la victime bouc-émissaire. Par ailleurs, si elle n’est pas équilibrée par des organes de décision qui disposent d’une certaine durée dans l’exercice du pouvoir, elle rend impossible toute organisation sociale ou étatique. C’est pourquoi, il y a lieu aussi d’être circonspect lorsqu’on voudrait que son empire s’exerce jusque dans la communauté des fidèles et l’Église elle-même. Certes le pape Pie XII n’avait pas hésité à recon-naître une certaine légitimité à l’exercice de l’opinion jusque dans la sphère ecclésiale. Mais l’Église s’adresse d’abord au sensus fidei, c’est-à-dire à la foi profonde des baptisés dont les critères de jugement ne sont pas superposables aux engouements d’une opinion ballotée à tous vents.
Jacques Julliard, dans un essai stimulant (1) sur cette notion d’opinion rappelle un mot de Bossuet qui semble, a priori, barrer la route, à toute liberté de pensée chez les chrétiens, puisque selon le grand orateur, le libre choix, c’est précisément l’hérésie ! Oui, mais attention de ne pas mêler les ordres et de ne pas oublier que la solidité dans la foi peut être un tremplin prodigieux pour la sagacité critique, la lucidité civique et le courage à l’encontre de la pression du moment. Que l’on songe à la liberté d’un Léon Bloy, d’un Georges Bernanos, d’un Paul Claudel et de quelques autres, et on verra que l’indépendance des hommes de foi n’est pas un vain mot.
(1) Jacques Julliard, La reine du monde, Flammarion.
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