3109-Toujours la laïcité - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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3109-Toujours la laïcité

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6 JANVIER

Mais revenons au fameux discours de St-Jean de Latran. La rédaction n’est pas d’Henri Guaino. Diverses sources font état d’un travail commun à Emmanuelle Mignon, une des collaboratrices les plus proches de Nicolas Sarkozy et au père Philippe Verdin, dominicain… Quand j’ai entendu ce fameux discours sur KTO, j’ai été sidéré. Je ne m’attendais pas à une telle prosopopée. Au vrai, pouvait-on faire mieux pour une célébration de la France chrétienne, de son histoire, de ses grandes figures de la sainteté et de la pensée ! Et l’évocation du cardinal Lustiger, d’une rare délicatesse ! Oui, ce discours m’a ému et je n’ai aucune raison de le cacher. Il était évident qu’il déclencherait des réactions d’indignation et de colère. Il semble que le Président en ait eu conscience et qu’il ait mesuré le risque de sa provocation, mais il n’a pas voulu amender ses propos.
Dans l’histoire de la République, c’est une date, parce que, d’évidence, jamais un chef de l’État, même le général de Gaulle, ne s’était exprimé avec un tel accent, une telle insistance sur la
France chrétienne. C’est vrai qu’un interdit a été brisé. La fameuse laïcité de l’État a toujours exigé une extrême retenue, une abstention verbale qui devait correspondre au néces­saire « agnosticisme d’État ». Beaucoup en ont fait une règle intan­gible. Parce qu’il est garant de l’impartialité de l’État qu’il doit représenter, le Président ne devrait contrevenir en aucun cas à son devoir de réserve. Ce qui est demandé à tout fonctionnaire, comment le premier magistrat pourrait-il s’y dérober ? Lui, plus qu’aucun autre, devrait donc jeter sur ses convictions personnelles dans
l’ordre religieux un voile pudique, ce voile d’ignorance souvent évoqué par le philosophe politique John Rawls.

Cette objection me trouble sans vraiment me déstabiliser. Le trouble vient de l’incontestable part de vérité de l’affirmation. L’impartialité du chef de l’État par rapport à la pluralité des croyances, au traitement juste qui doit leur être accordé, n’est pas susceptible de compromis. Mais j’objecte que ce principe n’est pas nécessairement entamé par une affirmation personnelle de convictions ni même – ce qui est encore plus difficilement admissible dans une certaine tradition française – par un statut confessionnellement caractérisé du chef de l’État. Prenons le cas de l’Angleterre. La reine Élizabeth est le très officiel chef de l’Église (anglicane) d’Angle­terre. Je ne sache pas que les catholiques de ce pays, ni les membres des autres religions, ont présentement à se plaindre de la « partialité » religieuse de leur souveraine. Il en va de même des rois et présidents des pays de style concordataire en Europe. On dira qu’il n’y a jamais eu, au Royaume-Uni, de pre­mier ministre de religion catholique. Mais je doute qu’Élizabeth y soit pour quelque chose. C’est plutôt la société anglaise, dans sa particularité historique, qui est opposée à ce qui contreviendrait à une habitude née de la rupture d’Henry VIII au XVIe siècle.

Ainsi, je ne parviens pas à endosser l’objection, tout en la respectant. Mais je voudrais encore aller plus loin. Il me semble que la véritable raison de l’interdit laïque tient non pas à un principe quasi-constitutionnel, mais à une sorte de non-dit qui s’est imposé à cause de l’extrême tension de ce qu’on a appelé « la lutte entre les deux France », la France religieuse et la France antireligieuse. Un Jean Baubérot est proche de cette explication, lorsqu’il met en garde sur le danger de ranimer les démons d’une ancienne querelle. C’est que nous avons une Histoire très particulière avec la Révolution et l’aboutissement d’une frénésie antichrétienne présente au long du XVIIIe siècle. L’éradication programmée du christianisme demeure, qu’on le veuille ou non, un moment de notre passé, et les luttes de la Troisième République contre les congrégations et la puissance de l’Église prolongent un même règlement de compte. Je ne veux pas expliquer ainsi que les esprits n’auraient pas été depuis pacifiés, mais la pacification a résulté d’un compromis qui repose sur le non-dit. Surtout n’en parlons pas !
Autre version : la religion est désormais renvoyée au domaine privé, sinon au secret des consciences, du moins non-admise sur la scène publique. Proposition mille fois répétée et au demeurant absurde, mais dont le sens est très symbolique. L’intrusion – ou du moins ce qui est décrit comme tel – du religieux sur cette scène publique serait en soit peu supportable car susceptible de peser sur les consciences et de fausser la libre discussion démocratique. Qu’importe que cette intervention se fasse sur le mode argumentatif et non sur celui de l’injonction, les préjugés ont la vie dure. Qu’importe aussi que le débat civique soit souvent obéré par de lourds préjugés idéologiques ou par des modes de séduction publicitaires, la religion est toujours réduite péjorativement au « dogmatique », un terme généralement non critiqué, ce qui est un comble. Les arguments contre le dogme sont de caractère dogmatique dans la pire acception du terme.
Mais revenons à cette idée d’un compro­mis plus ou moins explicite sur un voile d’inconnaissance jeté par l’État sur les idées essentielles, celles que John Rawls appelle « compréhensives » et qui concernent les grandes options sur le Vrai et le Bien. Au risque de rallumer le feu, j’ai envie de dire que l’interdit, s’il a eu lieu d’exister, n’a pas statut d’éternité, et je me demande sérieusement si sa transgression n’est pas bien-
venue. Ne sommes-nous pas prisonniers
d’habitudes désuètes qui remontent à une époque de crispation extrême ?
Je comprends que certains soient gênés, mais leur gêne ne tient-elle pas d’abord à leur volonté farouche de maintenir leur propre idéologie comme identifiée à celle de la République ? Tout de même, ce sont toujours les organisations rationalistes – Libre Pensée, Grand Orient… – qui montent au créneau pour « dé-
fendre la laïcité menacée ». Que quel-qu’un vienne briser l’oukase, je ne peux m’en plaindre.
J’ajoute que les réactions ac-
tuelles au discours du Latran sont parfois étranges. Avec Bernanos, j’ai envie de répéter : « La colère des imbéciles emplit le monde ». Et lorsqu’Yves Bernanos, le petit-fils de l’écrivain, m’apprend que sur un site internet socialiste on a traité son grand-père d’écrivain collaborationniste, je réitère. Après protestation, l’énorme sottise a disparu du site sans que sa responsable ait présenté la moindre ex­cuse. Il est vrai que, dans le genre, on avait déjà connu pire. C’est par Jean-Marie Domenach, dans France Catho­lique, que j’avais appris la perle publiée il y a déjà maintenant longtemps par l’hebdomadaire Télérama. Celui-ci accordait le même qualificatif à Charles Péguy, mort en 1914 ! L’inculture et l’amnésie sont les plaies d’une époque où des jeunes gens sont privés des connaissances les plus élémentaires. À l’avantage de la IIIe République, il faut quand même rappeler que l’enseignement secondaire ne faisait pas l’impasse sur l’histoire religieuse et ses monuments littéraires. Aujourd’hui l’agressivité antireligieuse s’autorise de toutes les ignorances…

Un dernier mot. L’État et son premier magistrat n’ont pas à être pris en défaut de neutralité de langage mais en défaut d’impartialité pratique. On ne peut imposer à un Président de taire son attachement au patrimoine chrétien de la France. On serait en droit, en revanche, de lui reprocher comme une forfaiture de défavoriser l’exercice de la liberté de penser et de croire.

8 JANVIER

Simone de Beauvoir aurait 100 ans ! Inévitable commémoration avec col­loques, publications, biographies. A priori, je ne suis pas très tenté par la lecture de nouvelles parutions. Les éventuelles révélations biographiques sont déjà dans les journaux. Malgré les louanges
à l’icône du féminisme, il est difficile de cacher la part la moins agréable d’une vie et de ses engagements. Je ne
cherche d’ailleurs pas à développer une polémique, et moins encore à formuler je ne sais quelle condamnation. Ce serait dérisoire et contraire à toute sensibilité chrétienne. D’ailleurs tout ne m’est pas contraire chez Beauvoir. J’ai lu cer­taines pages de ses Mémoires avec intérêt, et – notamment avec le Deuxième sexe – elle m’a donné l’occasion d’une discussion serrée et profitable. C’est mon problème avec Sartre et avec elle. Je suis d’une génération qui n’a pu les éviter et qui s’est en partie formée en se définissant par rapport à eux et contre eux, notamment à propos de leur conception de la liberté.

Je ne sais pas si j’irai beaucoup plus loin dans cette discussion que dans le chapitre consacré à Beauvoir dans L’amour en morceaux. Cela constituait une seconde lecture par rapport à celle que j’avais faite peu auparavant dans un article de France Catholique pour les 50 ans du livre. En un mot : là où on voit généralement une sorte de manifeste féministe, je discerne surtout un aveu d’impuissance à situer la femme autrement que dans une relation mimétique à l’homme qui est le seul modèle possible. D’où l’impasse féministe où les femmes, piégées par une absence de symbolique positive ou un trop plein d’imaginaire qui, à force de célébrer le génie féminin, constitue un gynécée fermé sur lui-même. À l’en­contre de cette double méprise, j’osais défendre l’idée d’un éternel féminin, puisé chez Dante, Soloviev ou Teilhard et qui assume une différence de la femme pour une réciprocité entre les sexes.
Mais j’ai été ramené à un autre aspect de Beauvoir qui faisait autrefois l’objet de grandes discussions : sa rupture avec ses origines familiales et chrétiennes. Une rupture qui troublait parfois tellement un certain milieu ecclésial qu’un livre, dont j’ai oublié l’auteur, dénonçait dans la révolte de la jeune normalienne « l’échec d’une chrétienté ». L’expérience m’a rendu méfiant à l’égard de ce type de réaction. Peut-on ainsi faire le malin en fustigeant les générations précédentes et le piètre témoignage qu’elles auraient donné ? Sommes-nous si sûrs d’avoir mieux réussi et notre propre bilan ne devrait-il pas, au contraire, nous inviter à plus d’humilité et à un surcroît de discernement ? Toujours est-il que les Mémoires d’une jeune fille rangée ne m’avaient nullement impressionné ou conduit à stigmatiser l’échec d’une chrétienté. Au contraire !

J’ai tout de même pris connaissance d’un livre de Beauvoir que je n’avais pas encore lu. Il s’intitule curieusement, dans la collection Folio, Anne ou quand prime le surnaturel. Initialement, il devait même s’appeler Primauté du spirituel, par un détournement ironique du titre du célèbre essai de Jacques Maritain. Car il s’agissait de dénoncer, à partir des ressentiments de sa jeunesse, ce que Simone appelait « les mystifications spiritualistes ». Simone de Beauvoir n’avait elle-même que peu d’indulgence littéraire à l’égard de ces cinq nouvelles où les mêmes personnages s’entrecroisent mais dont l’auteur n’a pas voulu faire le roman unique dont la trame, pourtant, se dessine. C’est le souvenir de Zaza qui domine. Cette jeune fille morte prématurément, et dont Beauvoir a toujours attribué la disparition à une mère étouffante et surtout à un catholicisme aliénant, névrotique. Qu’en fut-il exactement. Élizabeth Lacouin (Zaza qui fut si amie de Simone), de sa mère, de sa famille, de l’influence religieuse du milieu ? Doit-on vraiment faire confiance à l’écrivain et à sa férocité péremptoire ? Simone est en effet un juge plutôt implacable, du style jupitérien, et ses condamnations sont sans appel. La façon dont elle traite la maman d’Élisabeth, en forçant son for interne, en s’autorisant à interpréter ses débats de conscience, en formulant même sa prière dans une mise en scène de sa relation personnelle avec son Dieu, tout cela me met mal à l’aise alors même que ses admirateurs y voient l’expression de son extrême lucidité.