Marc Fromager participait à la visite œcuménique en Irak du 11 au 19 février dont nous avons parlé la semaine dernière.
Des hélicoptères américains survolent la ville à basse altitude. Au loin, les derricks couvrent l’horizon, ponctué par des flammes gigantesques. Nous entrons à Kirkouk, une des grandes villes irakiennes, et les contrôles se multiplient. Nous arrivons jusqu’à l’évêché qui jouxte la cathédrale, il y a des blocs de béton partout pour protéger la zone. Une voiture piégée a encore explosé tout près il y a un mois.
C’est dimanche et la cathédrale, dédiée au Sacré-cœur, est remplie. Alors que tout déplacement constitue en soi un risque, nous sommes frappés par la ferveur de toutes ces personnes pour qui la messe dominicale prime sur toute autre considération. La messe est très belle, la langue chaldéenne est très proche de l’araméen parlé par le Christ. À la fin de la messe sur le parvis, surveillé par des hommes en armes, comme devant toutes les églises d’Irak, nous discutons avec les fidèles. Tous nous remercient de notre visite, perçue comme un encouragement et un signe d’espoir. C’est la première fois qu’une délégation de cette importance vient jusqu’à eux. Nous n’avons pas l’impression d’avoir fait grand-chose, mais si notre visite a pu aider, tant mieux. Nous ne sommes là que pour 24 heures. C’est à ceux qui vont rester que tout l’honneur doit revenir.
Depuis le début de l’opération américaine (mars 2003), on estime que la moitié du petit million de chrétiens d’Irak a quitté le pays, dévasté par la guerre, le terrorisme et la misère. Comme tous les Irakiens, les chrétiens souffrent de ce chaos, mais eux sont encore plus isolés. Ils n’ont pas de milices pour les défendre et constituent une cible idéale. Enlèvements et demandes de rançon sont leur lot commun (on a pu lire dans nos colonnes, la semaine dernière, comment cela s’accompagnait de chantage à la conversion à l’islam…) Beaucoup de chrétiens ont dû rejoindre le nord de l’Irak, la province autonome du Kurdistan. Chassés de cette région à partir des années 60, ils retrouvent en effet, mais une ou deux générations plus tard, leurs villages d’origine. Pour les plus jeunes, c’est très difficile : ils viennent de la ville et se retrouvent à la campagne, ils ne parlent pas la langue (kurde) et il n’y a pas de travail. Ils sont étrangers dans leur propre pays. Beaucoup repartent donc plus loin, en Syrie, en Jordanie, en Turquie, avant d’aller encore plus loin, en Suède, au Canada, en Australie. Dans les villages reconstruits à la hâte, lorsque nous demandions si les gens voulaient repartir, tous répondaient affirmativement d’un seul cœur. Si la situation s’arrangeait à Bagdad ou Mossoul, beaucoup y rentreraient aussitôt.
L’Église essaie de garder ses fidèles dans le pays, mais il faudrait rassurer les gens et leur trouver du travail. En attendant, elle songe à l’avenir. Le Séminaire a été fermé à Bagdad, il a été rouvert à Erbil, au Kurdistan. On l’appelle le Séminaire des caravanes, car les bâtiments sont en préfabriqué. L’AED va aider pour transformer cette installation provisoire en quelque chose de plus adapté aux études des futurs prêtres du pays.
Il faut, comme le disait Jean d’Ormesson dans son appel en faveur des chrétiens d’Irak, « qu’ils sachent qu’ils ne sont pas abandonnés, que d’autres chrétiens pensent à eux, prient pour eux, agissent pour eux… et qu’il y a pour eux, dans leur longue nuit, quelque chose qui ressemble, au loin, à une lueur d’espérance ».