3108-Stratégies ecclésiales - France Catholique
Edit Template
Le martyre des carmélites
Edit Template

3108-Stratégies ecclésiales

Copier le lien

Dans un ouvrage récent, le philosophe politique Pierre Manent a cette formule qui donne à penser infiniment, surtout si on la confronte à la complexité quotidienne : « Il faut interdire à l’Eglise de commander, en la laissant libre d’enseigner ». C’est instruit de la longue expérience de la lutte et des interpénétrations des pouvoirs temporels et spirituels que le penseur est en mesure de ciseler cet axiome, sachant bien qu’il demeure largement paradoxal. Car, que serait l’autorité d’un enseignement si celui-ci se révélait inapte à inspirer la législation et les mœurs de la cité ? L’originalité de l’Évangile ne réside-t-elle pas dans la proximité des situations les plus concrètes ? Et ne s’agit-il pas, en fin de compte, de renouveler la face de la terre, grâce aux énergies transformantes de l’Esprit du Seigneur ? Donc il serait vain, et plutôt hypocrite, d’enseigner la Bonne Nouvelle sans s’intéresser aux médiations susceptibles de faire vivre hic et nunc le Royaume en ce monde. Mais, par ailleurs, le principe de séparation des pouvoirs et des domaines implique un juste partage dont la méconnaissance ou l’oubli peuvent se révéler dommageables. Le spirituel doit garder son indépendance par rapport au temporel, et ce dernier doit être à même de réaliser sa mission selon les critères de la prudence.

La difficulté pour trouver la meilleure articulation se montre dans les différences de stratégies adoptées par les divers épiscopats d’Europe dans leurs relations avec leurs États respectifs. On cite les exemples de l’Italie et l’Espagne comme significatifs d’une attitude très offensive qui, à certains moments, peut aboutir à l’affrontement direct avec les gouvernements en place. À l’inverse, les épiscopats français et allemand refuseraient toute démarche qui risquerait de les faire entrer dans une logique d’opposition proprement politique. Avant tout jugement éventuellement négatif sur l’option suivie, il convient de ne pas oublier l’histoire particulière des relations Église-État dans un pays donné, ainsi que les réactions de l’opinion qui varie forcément d’un espace public à l’autre. L’important est que l’enseignement soit clairement énoncé et que les stratégies suivies n’en annulent ni la cohérence ni les effets.

L’épiscopat français ne bénéficie pas de la mobilisation de masse qui existe en Italie et en Espagne, et la loi de séparation qui régit ses relations avec l’État lui interdit certaines connivences de style concordataire. Mais la liberté que lui donne son statut constitue un bien sans prix. Ne devant subir aucune pression étrangère à la nature de sa mission, notre épiscopat a la possibilité de faire en-
tendre un message original parce que non-partisan. Son engagement actuel, décrit dans ce numéro par Tugdual Derville, dans le domaine de la bioéthique, intervient à un moment particulièrement opportun. Il devrait résonner comme une interpellation supérieure de la conscience qu’hommes politiques et toutes personnes de bonne volonté devraient entendre avec la plus vive attention.

Gérard LECLERC