3105 - De Maurras à Eric Zemmour - France Catholique
Edit Template
Funérailles catholiques : un temps de conversion
Edit Template

3105 – De Maurras à Eric Zemmour

Copier le lien

30 NOVEMBRE

J’avais pu lire, il y a quelques années déjà, la version dactylographiée de la correspondance échangée quarante-cinq ans durant entre Charles Maurras et Mgr Jean-Baptiste Penon qui, avant d’être évêque de Moulins, avait été le quasi-précepteur de l’écrivain. Voilà désormais ces lettres éditées chez Privat avec un excellent appareil critique dû à Axel Tisserand. C’est un document de premier ordre pour la connaissance des deux interlocuteurs, mais aussi sur le type de formation que l’on pouvait donner à des jeunes gens à la fin du XIXe siècle. De quoi alimenter le débat assez féroce sur la montée ou la baisse du niveau scolaire ! Certes nous ne vivons plus dans le même monde, et il nous faut faire notre deuil de cet enseignement classique qui permettait à des adolescents de lire directement dans le texte auteurs grecs et latins.
Je laisse ici la plupart des questions que pose cette correspondance, notamment sur l’évolution religieuse de Maurras, la perte de la foi qui n’aboutit pas chez lui à un athéisme fermé mais à un agnosticisme inquiet et à une recherche qui marque des progrès, sinon « au grand soleil », comme il l’écrit lui-même, mais sous « un clair de lune » qui exclut la négation et le nihilisme. L’abbé Penon espère de tout son cœur que Pascal pourrait tirer Maurras de sa crise, mais ce n’est pas le recours qui convient. Il sera mieux inspiré de l’envoyer chez l’abbé Huvelin, le prêtre qui s’est trouvé sur le chemin de Charles de Foucauld… « De Pascal, je ne puis approuver que le chercher en gémissant », écrira plus tard le correspondant de Mgr Penon à un autre interlocuteur. Mais c’est toute une longue histoire, sur laquelle seules quelques personnes sérieusement informées sont capables de dire des choses pertinentes.

Je préfère aujourd’hui soulever un autre problème, généralement mal traité, où je retrouve d’ailleurs le Père Varillon qui fut très proche de l’Action française avant d’entrer chez les jésuites. Il est loin d’être le seul de sa génération. Je pense à Congar, sous l’influence de l’abbé Lallemant, avant la condamnation de l’A.F., au Père Maydieu, et à tant d’autres… Y eut-il vraiment une mouvance théologique Action française, et est-il légitime, si oui, d’attribuer à Maurras une responsabilité intellectuelle spécifique dans un domaine où il était et se considérait, par principe, incompétent ? C’est ce que l’on dit souvent, sans vraiment me convaincre. Il est possible qu’il ait eu de la sympathie contre-révolutionnaire dans toute une mouvance où se retrouvaient au demeurant des gens très différents comme le Père Garrigou-Lagrange ou le cardinal Louis Billot. Mais de là à imaginer une sorte d’École, je n’y crois pas.

Ce qui est vrai, c’est qu’il y a des sensibilités antérieures même à l’existence de l’Action française, certaines qui vont la rejoindre, d’autres s’y opposer, dans la logique des fractures du XIXe siècle. Ce qui est vrai aussi, c’est qu’avec Maurice Blondel, va se dessiner un autre partage d’où naîtront « la nouvelle théologie » et des conflits doc­trinaux qui vont se perpétuer au long du XXe siècle. Du côté de Blondel et de Laberthonnière se retrouveront les anti-maurrassiens, du côté tho­miste, les maurrassiens, du moins jusqu’à ce que Jacques Maritain et l’abbé Journet suivent les consignes de Pie XI pour fustiger l’A.F. Mais les choses ne sont pas si simples, si l’on songe par exemple que le Père Pierre Rousselot, grand inspirateur du renouveau théologique du début du XXe siècle, admirait Maurras. Quant à la pensée religieuse de ce dernier – si l’on songe à sa poésie très métaphysique – elle pourrait présenter quelques étranges connivences avec un certain blondélisme et même – comble du paradoxe – avec un certain Pascal : « J’ai renversé la manœuvre du monde et l’ai soumise à la loi de mon cœur. »

Ier DÉCEMBRE

La seconde encyclique de Benoît XVI est typiquement ratzingérienne dans sa démarche, dans son écriture, dans ses références qui partent de la Bible, se poursuivent dans la patristique, et vont jusqu’à des auteurs très modernes comme ceux de l’école de Francfort dont le Pape sait tirer le parti le plus stimulant. J’ai le sentiment que ce texte sera très lu et fera beaucoup de bien. Il présente, certes, quelques difficultés de compréhension, mais le fond est limpide et le Pape a l’art de mettre en scène des personnages vivants, parfois contemporains, qui parlent avec toute la vivacité des exemples vrais. La proximité des témoins qui ont vécu dans l’incandescence des vertus théologales au fond de la nuit et de la détresse : une Sœur Bakhita, ancienne esclave au Darfour, de­venue religieuse en Italie, un cardinal Van Tuan, enchaîné de longues années dans les geôles du régime communiste au Vietnam. Sans vouloir trop solliciter les Car­nets du concile du Père de Lubac où sa présence est au demeurant discrète, je ne puis m’empêcher de constater qu’au Concile, Joseph Ratzinger arrive au bon moment, lorsqu’on a besoin de sa sagesse, de sa science et de sa sagacité pour faire les mises au point nécessaires. À la suite de Karol Wojtyla, il intervient comme pour dénouer les situations, et a posteriori, je dirais qu’il y a comme une économie providentielle en tout cela, grâce à qui les hommes « élus » avec leur liberté et leur génie, servent des desseins supérieurs.

3 DÉCEMBRE

J’ai connu Éric Zemmour, jeune journaliste politique dans les années 80. Sa finesse d’analyse, sa culture, son empathie avec le monde politique étaient déjà évidentes. Je ne percevais pas alors comment il s’affirmerait en développant des convictions sans peur aucune de la doxa dominante. J’ai suivi de loin sa trajectoire avec plus que de l’intérêt et admiré que son talent lui permette d’accéder à des tribunes où ne siègent souvent que des gens peu dérangeants. Je suis régulièrement – parfois avec mes enfants étudiants – ses joutes oratoires sur I-télé où il est opposé à Nicolas Domenach, un des fils de Jean-Marie Domenach – j’ai suffisamment connu le père pour évaluer différences et ressemblances avec le fils. C’est toujours très bien mené sous l’autorité de Victor Robert et les deux interlocuteurs ne s’opposent pas pour le plaisir de marquer des points. Leur dialectique s’enrichit de l’opposition de l’autre pour s’affiner, se préciser, parfois se radicaliser. C’est vif, drôle, provoquant, sans concessions, et on a l’impression d’en sortir plus averti, plus vigilant.

Éric a même été intégré depuis quelques mois à une émission grand public sur France 2 animée par Laurent Ruquier. Et, miracle, dans un univers de frivolité, il réussit à faire passer des choses sérieuses, parfois graves, et son humour parvient à lui faire pardonner des sévérités, des impertinences qui, venant d’un autre, ne seraient pas supportées. L’autre nuit – car l’émission s’achève au milieu de la nuit – il a exposé devant l’auteur, Jacques Attali, une analyse d’un livre consacré à l’amour humain qui mettait en valeur tout l’apport du christianisme dans l’évolution positive de celui-ci. N’allait-il pas plus loin qu’Attali en ce sens ? J’aimerais vérifier, mais l’essentiel est qu’on sortait des sottises habituelles pour comprendre la métamorphose qui s’est produite grâce à la révélation biblique. Je ne suivrais pas Éric dans tous ses jugements, parfois abrupts, sur « le droit-de-l’hommisme » et le fémi­nisme. C’est vrai qu’il prend un malin plaisir à pro­voquer, mais ce n’est jamais gratuit, il y a toujours quelque chose de vrai et de profond jusque dans son « extrémisme ». j’ai eu l’occasion de le souligner à propos de son essai sur « le Premier sexe ».

Même les politiques qui ne sont pas de son bord l’estiment. D’ailleurs il est trop indépendant pour se lier à un camp. Ses éventuels « adversaires » prennent plaisir à discuter avec lui, parce qu’au fond ils se sentent compris, même qu’ils sont durement contestés. François Bayrou déclarait à cette même émission de Ruquier : « Le problème d’Éric Zemmour, ce n’est pas qu’il soit intelligent. Il est trop intelligent ». Un hommage non feint, destiné certes à amorcer un « contre » décisif, mais significatif d’un état d’esprit.

(à suivre)