3105-Cent-cinquantenaire des apparitions de Lourdes - France Catholique
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3105-Cent-cinquantenaire des apparitions de Lourdes

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On fête, ce 11 février, le cent-cinquantenaire de la première apparition de Lourdes. À cette occasion, nous avons demandé au Père René Laurentin dans quelles circonstances il avait décidé de consacrer une grande partie de son activité d’historien à ce phénomène.

Quand Mgr Théas vous a demandé de réécrire l’histoire de Lourdes, il était plutôt en difficulté ?

Pas encore, mais cela allait venir : en 1953 Mgr Théas, alors évêque de Lourdes, songeait à la construction de l’immense basilique St-Pie X. Le projet sera présenté au pape Pie XII en 1956, mais un économe, craignant une faillite, le fera dénoncer à Rome où on décida de le priver de ses pouvoirs ad­ministratifs… Cela s’arrangea finale­ment. En 1958, Mgr Théas put convier le cardinal Angelo Roncalli, alors pa­triarche de Venise, pour inaugurer l’édi­fice. Le futur pape s’acquitta bril­­­lamment de cette tâche en évi­tant la lec­ture d’un long document juridique préalable qui évoquait les res­ponsabilités fi­nancières… Il dit avec son inimitable et contagieux sourire : « Et maintenant, on doit lire le do­cument qui précise que tout a été très bien fait. Oui, très bien ; on peut donc vous épargner cette lecture et maintenant prions pour que la faiblesse humaine soit forte. » Ce fut le triomphe de Mgr Théas. Et, si je peux me permettre, un tout petit peu le mien : à l’issue du repas qui suivit, je parlai pour la première fois au cardinal Roncalli ; après son toast éblouissant d’hu­mour, je m’ap­prochais, hésitant, mais il me salua jo­yeusement. Il avait lu mon court traité sur la Vierge Marie, en avait fait l’éloge dans un de ses livres !

En 1958 vous aviez publié déjà de nombreux ouvrages sur Lourdes. Etait-ce pour exploiter le centenaire en journaliste ?
Non, je n’étais pas journaliste et ce sont mes premières études sur Lourdes ; Le Figaro en avait fait l’écho avant qu’il vienne me rechercher pour le concile, en 1962.


Était-ce une longue expérience de pèlerin depuis l’enfance ?

Dans ma famille, un de mes oncles était brancardier, bretelle de cuir « assi­due » mais il n’en avait parlé à table qu’occasionnellement, de manière pit­to­­resque, propos de table sans plus. Je n’avais jamais été à Lourdes. Je n’avais jamais entendu parler des apparitions, ni de Lourdes pendant mes études de théologie à l’Institut Catholique de Paris.

Qu’est-ce qui vous a donc motivé ?

En 1953 à l’issue de mes trois thèses de doctorat (Sorbonne, et Catho pour la théologie), comme vous le savez, Mgr Théas m’avait écrit pour me demander une théologie de Lourdes pour le deuxième congrès mariologique de Rome. J’étais déconcerté par ce thème inconnu. Qu’est-ce que cela pou­vait bien vouloir dire ? Une théologie de Lourdes ?
Je ne connaissais que la théo­logie dogmatique et fon­damentale. Comme c’était une demande d’évêque, je la pris au sérieux et abordai l’inconnu. Je m’aperçus alors qu’on n’avait jamais établi de manière critique les paroles reçues par Bernadette entre le 11 février et début avril 1858 et qu’on ne savait pas le nombre des apparitions : 18 disait Ber­nadette, 19 disaient les principaux his­toriens. De 1953 à 1954, je fis le tour de toutes les archives de Lourdes, Nevers, Garaison et bien d’autres. J’étais le pre­mier à faire le tour complet de ce cor­pus, à cette époque où les moyens techniques étaient peu développés ; j’ai copié quantité de do­cuments ; pour le congrès de l’automne 1954, je n’étais pas au bout de ma peine. Je prolongeais le travail pendant plus d’un an pour éditer Sens de Lourdes : mon premier livre en 1955, et mon pre­mier succès avec 20 000 exemplaires car cela renouvelait la question, traitée de manière en­core anecdotique. J’affirmais pour ma part qu’une apparition, ce n’est pas une nouvelle révélation, c’est une intervention pro­phé­tique locale et particulière sans autre but que de rappeler à nos oreilles de sourds l’Évangile oublié. Je commençais à dé­chiffrer quelles paroles de l’Évangile, quelles paroles de l’Écriture, Lourdes venait rappeler. Les tout premiers mots, ce sont les messages de Jean-Baptiste : prière, conversion, le retour, l’immersion baptismale qui est un signe – glacial et stimulant – de Lourdes pour les malades mais aussi pour les bien portants. Dans son document du centenaire, Pie XII reprit ce thème nouveau qui me conforta dans ma recherche.


Que vous restait-il à faire ?

J’avais compris par ces premières études dans un sujet négligé (et même méprisé par la théologie justement pé­nétrée du caractère particulier et in­certain de ces faits) qu’il fallait les étu­­dier autrement. Officiellement et traditionnellement les apparitions posté­rieures à l’Évangile sont certes des phé­nomènes incertains. Pie X a écrit dans l’une de ses encycliques : « On n’est jamais certain du fait des apparitions ». Et dans l’Évangile même, le Christ les dévalue en disant à l’apôtre Thomas : « Bienheureux, non ceux qui ont vu mais ceux qui ont cru » : non les voyants mais les croyants.


Mais quand une apparition est reconnue officiellement par l’Église ?

Ce n’est pas un acte du magistère, l’Église a autorité infaillible pour en­seigner la Révélation et l’Évangile mais quand un évêque (jamais le pape) reconnaît officiellement une apparition, ce n’est pas un acte d’enseignement mais de dis­cernement humain (« de foi humaine » disait Benoît XIV, et non divine) cela n’oblige pas à croire. Si un pénitent venait me dire au confessionnal : «- Père, cette fois-ci, je n’ai que deux péchés, je ne crois pas à Lourdes, je ne crois pas à Fatima. », je devrais lui dire : «- Je ne peux pas vous donner d’absolution. » «- C’est si grave, mon Père ? » «- Non mais ce n’est pas un péché, il n’y a pas matière à absolution. »

Alors qu’est ce que cela veut dire une reconnaissance des apparitions ?

Cela veut dire bien examiner : en tant que pasteur de l’Église, dit l’évêque, je suis autorisé à vous dire qu’il y a de bonnes raisons d’y croire, que vous pouvez y croire, il est bienfaisant d’y croire, mais vous gardez votre liberté d’y croire ou non… tout en gardant respect pour le jugement de l’Église.

Alors que vous restait-il à faire ?

J’ai compris qu’une apparition n’é­tait pas une nouvelle révélation mais un message prophétique – sans pourtant l’autorité de la Bible-parole de Dieu – un message donné dans l’histoire, concrètement, comme le furent les écrits des prophètes de la Bible, qui parlaient dans l’actualité des règnes et des guerres, des drames de leurs époques, comme le Christ qui parlait aussi dans l’actualité de son temps : « Ces hommes qui périrent dans l’écroulement de la tour de Silo, pen­siez-vous qu’ils étaient plus coupables que les autres ? »

Quel a donc été votre programme à partir de ces constatations ?

Lourdes, c’est une histoire ; je ne peux comprendre son message pro­phé­tique sans faire intégralement cette histoire et mesurer la portée non seulement des paroles mais des actes de Bernadette, d’événements d’Église et du monde qu’elle a influencés.


Par exemple ?

Les apparitions de Bernadette ont eu lieu au moment où le XIXe siècle voyait naître le règne de l’argent et le slogan des politiques : « Enrichissez-vous ! ». La richesse devenait le but de la vie car la richesse mesurait le pouvoir et mesurait même la capacité électorale. On votait à la mesure de ses rentes, ceux qui avaient su gagner de l’argent étaient sages et vertueux, honorés dans la société.

La sainteté de Bernadette fut très précoce. La sain­teté des pauvres dans sa famille, et des malades, car sa santé était déjà fragile. J’ai la conviction intime que Bernadette était déjà sainte Bernadette, elle vivait au sommet de la vie spirituelle, l’union parfaite, transformante et mys­tique avant les apparitions ; elle y avait été préparée sans vision par l’Esprit Saint et la Sainte Vierge ; le plus concret indice de cette sainteté précoce est sa confidence à sa cousine Jeanne Veder, qui lui demandait comment elle surmontait ses souffrances quand elle était bergère isolée toute la journée avec son troupeau, qu’elle vomissait la pâte qui constituait l’ali­mentation principale dans la ferme de sa nourrice, son estomac ne la supportant pas. Bernadette répondit : « Quand le Bon Dieu le permet, on ne se plaint pas. »

Elle était déjà dans ce que les mys­tiques appellent les voies passives, après le temps des purifications, les premiers pas de la voie illuminative et active, le moment où Dieu approfondit les racines mêmes de l’être, le plus souvent dans la souffrance vers la perfection ultime, qui est son œuvre, tandis que sa part était l’abandon à Dieu dans sa détresse. Dans le fond de mon cœur, j’appellerais vo­lontiers cette sainteté précoce, selon la formule de Platon : une opinion vraie quoique nullement démontrable. Ce serait au-delà de ce que j’ai pu établir : le tréfonds du mystère de Lourdes qu’on ne peut pas atteindre par les méthodes scientifiques que j’ai parcourues.


La méthode que vous avez établie : publication, chronologie exhaustive des documents, analyse, pénétration… a fait école et c’est sur ce modèle qu’on a étudié la Salette et d’autres apparitions. Comment l’expliquez-vous ?

Simplement parce que c’est une mé­thode rigoureusement objective mais aussi parce que cette rigueur austère a beaucoup apporté à Lourdes. La littérature était jusque-là superficielle, anecdotique ou particulariste et parfois même idéologique dans les perspectives politiques du XIXe siècle, comme à la Salette pour certains. Dès 1954, le Père Julien m’avait dit : les premiers livres sont en train de changer la prédication de Lourdes mais ceux-ci ont aussi mis fin aux attaques persévérantes de la pensée rationaliste. Le docteur Valot s’est taillé un vrai succès avant le centenaire en écrivant un livre critique contre les miracles de Lourdes, en voie de disparition car ils ne tenaient pas la route sur le plan médical, disait-il. Il s’apprêtait à frapper un coup décisif sur le terrain historique en publiant un autre ouvrage qui aurait été édité sur la base des archives au­jourd’hui secrètes, quoi que j’aie pu les reconstituer complètement par des copies anciennes du préfet Massy, qu’il voulait publier au début de 1958. Mais mon premier livre de documents parut au début des archives précédentes, donc je publiais tout : cela dépassait toute sa documentation et il comprit que cette dernière allait tomber à faux. Il renonça et l’avoua loyalement à la fin des célébrations du centenaire.

J’avais pourtant couru un grand risque par la publication intégrale des documents, car le premier était les notes d’interrogatoire du commissaire Jacomet en date du 21 février 1858 : le tout premier do­cument sur Lourdes – dès le début de la quinzaine des apparitions – et ces notes se terminaient par une rétractation de Bernadette. J’en fis part loyalement à Mgr Théas et lui dis : « je crois que vos prédécesseurs ont enterré ou détruit ce document ; formé à l’école de l’histoire, je publierai tout ou rien ». Mgr Théas, homme de loyauté, répondit sans hésiter : « Lourdes n’a besoin que de vérité ».
Il me fit la plus totale confiance pour aller jusqu’au bout. Il en fut récompensé car cette publication ne créa ni problème ni objection. Sur le fondement des autres documents, plusieurs évidences s’imposaient en effet : deux témoins de l’interrogatoire, Baptiste Destrade, percepteur des contributions directes, et sa sœur, ont témoigné qu’au cours de ce premier interrogatoire, le commissaire Jacomet avait tenté des feintes pour accuser mais aussi égarer Bernadette qui lui répondait avec insistance : « Monsieur, je ne vous ai pas dit ça ».

La rétractation de Bernadette venait en final de l’interrogatoire où il notait ses paroles, preuve qu’il s’agissait bien d’une feinte. Il relisait devant elle le texte où il avait mêlé quelques vérités : « Mon père est là qui guette à la porte, vous pouvez lui commander de m’empêcher d’aller à la grotte ». Mais au fur et à mesure qu’elle exprimait ce morceau de bravoure, le commissaire s’exaltait, son écriture gran­dissait, passant du simple au double, preuve de son exaltation ; enfin, dernière preuve : son premier rapport au préfet ne fit pas état de cette feinte.

Quand j’en parlais à Mgr Théas, j’étais loin d’avoir ces preuves, je ne savais où j’allais mais me disais : Lourdes n’est pas une définition de foi. Si là ou ailleurs se trouvent des preuves contraires, j’au­rai le devoir de les produire. J’étais profondément édifié par la réaction im­médiate de Mgr Théas. Bien plus, il ne demanda pas à voir ma publication, me laissa publier librement.
Depuis lors, quand j’ai eu de tels problèmes dans des circonstances pour­tant moins difficiles je subis bien des contrôles et même des interdictions de publier qui laissent inédits plusieurs des livres importants que je souhaitais mener jusqu’au bout et qu’on m’a interdit de publier. Pour éviter tout malaise, trouble ou scandale, cela reste la partie cachée de mes œuvres.

Aujourd’hui, après 150 ans, Lourdes, est-il resté à la hauteur de Bernadette ?

La hauteur de Bernadette est inac­cessible. Elle est au-delà des faits et phénomènes que j’ai pu atteindre et pénétrer ; en tout phénomène reli­gieux, l’origine est indépassable. Dieu met une per­fection au début de ses œuvres pour qu’à travers les tâtonnements, les péchés et les ambiguïtés humaines, tout s’achève dans la perfection : c’est en bonne voie, à Lourdes aussi, malgré les à-côtés « humains ».


Et le commerce, les colifichets ?

Le point n’est pas tellement grave, que des foules s’amassent devant les sept merveilles du monde ou dans les pèlerinages ? Il y a du commerce avec les touristes, c’est inévitable.

Le commerce de Lourdes a été disgracié car on y vendait des objets de pacotille au bord de la superstition mais, durant des années, après le centenaire, les directeurs de pèlerinage ont établi un dialogue avec les commerçants de Lourdes, afin qu’ils épurent ce com­merce, avec un réel suc­cès ; même cette accumulation en série de statues de l’apparition qui ont un air de dérision, restent les faiblesses en partie inévitables du commerce local.

Comment voyez-vous la progression de Lourdes : ses fruits selon l’Évangile ?

C’est devenu une capitale de la prière, il y a du vrai dans cet aphorisme. C’est un lieu de vraie prière liturgique et personnelle, de jour et de nuit. Durant le congrès eucharistique international de Lourdes, le souci d’accueillir plus massivement les foules avait fait sup­primer la procession du Saint Sacrement, mais la ferveur des pèlerins a pris l’initiative d’adorations nocturnes qui n’ont pas cessé avec une considérable affluence, en trois lieux : la première petite chapelle qu’on avait établie sur le versant en face de la Grotte, la basilique du Rosaire et le camp de jeunes ; je me suis rendu à ces trois adorations. J’y ai constaté l’affluence jusqu’à deux heures du matin et au-delà dans les heures creuses. C’est une revanche de l’adoration eu­charistique contre ceux qui tendaient à la marginaliser.

Il y a aussi les guérisons. Il paraît de plus en plus difficile d’en faire la preuve en forme géométrique, on avait tenté de le faire en 1900 sur le modèle des guérisons exigées pour les canonisations. On sait les difficultés scientifiques et médicales. On tente aujourd’hui de redéfinir le miracle en renouvelant les critères d’examen de ces guérisons. Longtemps, un certain juridisme, soucieux de preuves absolues qui sont impossibles, avait fait le silence sur tant de guérisons qui ont eu lieu à Lourdes et interdiction était faite d’en parler ou de publier. Il éteignait à Lourdes l’espérance du miracle.
On tente de concilier aujourd’hui, comme le fait le Dr Patrick Theillier avec Mgr Perrier, les critères du constat, d’établir une sorte d’harmonie entre l’action de grâce et le constat médical.

En 1975, j’avais suscité à Lourdes un colloque qui fut fécond et révélateur entre chrétiens doués du charisme de guérison et le Dr Mangiapan, Président du Bureau médical. On a fait beaucoup de chemin depuis lors ; ce n’est pas le lieu de m’étendre sur ce sujet, sur la conception même du miracle ; dans l’Évangile c’est d’abord un signe et ensuite un prodige. Les guérisons qui ont lieu à Lourdes sont des signes pour ceux qui les ont vécus ; dans leur entourage, leur milieu, leur paroisse, ils sont des milliers chaque année.
Les statistiques de constat en preuves établies depuis 1900 constituent des témoignages remarquables. Je crois qu’on est en voie de restaurer l’action de grâce prudente, vivante, mais sans interdit. Cela fait partie de la grâce de Lourdes. L’action de grâce, plus souvent secrète, est essentielle à Lourdes depuis l’origine.

Plus encore, Lourdes est un lieu unique où la compréhension et le service des malades ont pris des formes entièrement nouvelles qui sont au centre du pèlerinage pyrénéen.