La polémique née des deux interventions du président de la République, à Rome et à Ryad, sur la question religieuse, montrerait, si c’était nécessaire, à quel point la France perpétue une tradition laïque des plus ambiguës. Nul pays européen n’entretient à ce point, à l’égard du patrimoine chrétien de notre civilisation, les préventions et parfois la haine que l’on observe chez nous. Loin de nous l’idée d’empêcher les anticléricaux ou les rationalistes d’exprimer leurs désaccords à l’égard de notre foi. La liberté de conscience et d’expression des opinions leur donne le droit strict de dire ce qu’ils pensent, même avec outrance et jusque dans les caricatures les plus odieuses. Mais il y a une différence radicale entre la possibilité de se reconnaître dans une idéologie antireligieuse et la prétention à vouloir s’approprier l’État pour en faire l’organe et l’instrument de cette idéologie. Le philosophe américain John Rawls, théoricien rigoureux de l’État impartial, a vivement dénoncé à ce sujet ce qu’il considère comme une perversion contraire à la justice.
Mais, nous opposera-t-on, le président de la République ne s’engage-t-il pas dans une voie dangereuse en exaltant la France chrétienne et en donnant le sentiment d’une nouvelle alliance de l’Église et de l’État, contraire à la loi de séparation de 1905 ? Pardon, mais il nous semble qu’il y a une différence entre le fait de reconnaître le lien de notre pays avec le christianisme et l’abandon prétendu de l’impartialité de l’État eu égard à toutes les familles spirituelles et philosophiques. Le déplaisir manifeste à l’égard de la sympathie déclarée du Président nous paraît d’abord s’expliquer par la fureur de ne plus être considéré comme la voix officielle de la laïcité, en vertu d’une légitimité venue de la part la plus antireligieuse des Lumières. Pour certains, le discours sur le danger des religions, assimilées unilatéralement au fondamentalisme et à l’extrêmisme, devrait s’imposer comme la pensée unique de la République, en déni flagrant de la réalité du christianisme d’aujourd’hui.
C’est un scandaleux mensonge que de donner à croire que l’Église catholique, en notre temps, jouerait le jeu de ceux qui veulent mettre le feu à la planète. Jean-Paul II et Benoît XVI, plus que quiconque, ont été les avocats de la paix en toutes circonstances et ils ont agi pour désamorcer efficacement toute tentation de guerre de religion. Il faut arrêter de raisonner comme si nous étions encore à l’époque médiévale, dans des contextes et des logiques aujourd’hui disparus. En France, l’Église catholique (comme les autres Églises d’ailleurs) est farouchement attachée à la séparation de l’Église et de l’État, à laquelle elle doit une liberté inestimable. Ce qu’on appelle laïcité devrait être étranger à l’idéologie laïciste. Concept empirique, elle n’a rien à nous dire sur les grandes questions métaphysiques et les fins dernières. Elle permet la liberté de penser et de croire. La reconnaissance de notre patrimoine chrétien, loin de lui être contraire, est le signe d’une décrispation qui permet de reconnaître qu’elle est désormais plus favorable à la reconnaissance positive qu’au déni du religieux.
G.L.
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Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- La République laïque et la prévention de l’enrôlement des jeunes par l’État islamique - sommes-nous démunis ? Plaidoyer pour une laïcité distincte
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- 3101-Sarkozy, l'Eglise, la laïcité
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ