Henry Quinson a quitté le monde de la finance pour un monastère, puis une cité HLM à Marseille. Il se raconte dans un livre à paraître le 28 février…
Henry Quinson, Moine des cités, éditions Nouvelle Cité, 224 pages + cahier photos 16 pages, 22 €
Contactez :
FRATERNITÉ SAINT PAUL
Cité Saint Paul
Bât. B1, Appt. 28
40, traverse de la Palud
13013 MARSEILLE
Tél. : +33 (0)4 91 66 26 06
http://pagesperso-orange.fr/frat.st.paul/
Votre livre explique-t-il les raisons de votre parcours, dont on peut sans doute dire qu’il vous situe à mi-chemin de Madeleine Delbrêl, sainte assistante sociale, des années 30 aux années 60, dans une « banlieue rouge » de Paris, et du Père Delfieux, inventeur du concept de « moine dans la ville » et fondateur, en 1975, des Fraternités de Jérusalem…?
Mon éditeur ne m’a pas demandé d’« expliquer » mais de « raconter » mes choix de vie, qui demeurent un mystère pour moi-même ! Mais j’en ai une certaine intelligence, quoique partielle et provisoire. Concernant la forme de vie de notre communauté, son originalité réside dans la combinaison de sept « piliers » : célibat, prière, travail à mi-temps, logement en cité HLM, hospitalité, entraide et participation à la vie paroissiale. Ce qui nous distingue des Fraternités de Jérusalem, c’est le lieu : périphérie urbaine, quartiers d’immigrés à majorité musulmane. Ce qui est différent des équipes de Madeleine Delbrêl, c’est notre choix du travail à mi-temps dans ce contexte territorial. Contrairement à la « mission ouvrière », nous ne cherchons pas une proximité par le travail mais par la résidence. Dans une société qui connaît un chômage massif dans les quartiers pauvres et une inégalité croissante dans l’accès au logement, c’est le lieu d’habitation qui est essentiel. Le rôle très monastique du portier est déterminant : il y a toujours un frère chez nous l’après-midi pour accueillir nos voisins. Nous ne nous définissons pas par une tâche, mais par notre lieu de présence. Cette démarche est caractéristique de la grande tradition monastique : il y a les moines du désert rural, les moines du centre ville et les moines des cités périphériques. D’où le titre « Moine des Cités ».
Votre histoire n’est pas banale : « De Wall Street aux Quartiers-Nord de Marseille » ! Quelle est cette « force » qui vous a arraché aux déterminismes sociaux, culturels et religieux que certains jugent insurmontables ?
Je l’appelle « Dieu », car je suis un enfant de la tradition judéo-chrétienne. Au passage, je note que le mot Dieu vient de « Zeus », ce qui montre son ambigüité !
Le compte-rendu de ma vie est aussi la découverte progressive d’un Dieu qui n’est pas un mythe, une idée ou une assurance-vie : il est le « Vivant ». Ce Dieu-là me déroute au sens littéral de l’expression : il me fait changer de route. Le jeune Science Po Paris aurait dû poursuivre une carrière bancaire, se marier et continuer à « faire de la politique ».
Quel est l’événement qui vous a libéré d’un chemin tracé d’avance ?
Je voudrais insister sur le fait que la finance, le mariage ou les mandats politiques sont de belles voies de service et de développement humain. Mon parcours n’est qu’un chemin parmi d’autres. Ce qui m’a marqué à jamais, c’est la redécouverte de la prière à l’âge de vingt ans. Cette expérience d’illumination m’a transformé, au point de me faire opter pour une vie monastique à l’abbaye de Tamié, en Savoie, en 1989, après avoir participé à la campagne présidentielle de Raymond Barre et bien gagné ma vie comme opérateur sur le marché des changes.
Pourquoi avoir quitté ce monastère peu avant vos vœux définitifs ?
Une raison immédiate : le manque de sommeil accumulé à cause d’horaires trappistes trop exigeants pour moi (j’ai besoin de plus de sept heures de sommeil par nuit). Mais cette faiblesse a relancé une question sur ma vocation.
Vous parlez d’une « vision » ?
En effet, avant d’entrer au monastère de Tamié, je me suis « vu » à Marseille, entouré d’enfants maghrébins… Mais je ne connaissais alors personne dans la cité phocéenne, et mon attrait pour une vie de prière à l’écart du monde urbain était plus fort. Après cinq années à Tamié, ma « vision » s’est matérialisée de manière étonnante : j’étais sans doute mûr pour enfin répondre à cet appel.
Dans la deuxième partie de votre livre, vous donnez beaucoup d’exemples concrets de « métamorphoses » parmi vos voisins, pour la plupart pauvres, étrangers, musulmans et souvent très jeunes ?
Oui, les médias peuvent difficilement se faire l’écho de toutes ces épiphanies de la vie ordinaire. Pourtant, ces rencontres et ces « déclics » sont autant de lumières qui indiquent qu’une lente mais profonde métamorphose de l’humanité est à l’œuvre. Quand un jeune me parle les yeux fermés à cause d’une croix que je porte au cou et que, quelques mois plus tard, il joue au scrabble les yeux ouverts, n’est-ce pas la fraternité du Christ ami des hommes qui prend corps loin des caméras ?
Votre démarche en milieu musulman, ou éloigné de l’Eglise, est-elle missionnaire ?
Oui, toute vocation chrétienne est, par nature, missionnaire. Si « le Verbe s’est fait chair » et s’il a « habité parmi nous » (Jn 1, 14), c’est pour qu’à notre tour nous habitions, dans l’Esprit, toute la terre en vue du salut des hommes. Saint Jean le dit très clairement : « Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les envoie dans le monde » (Jn 17, 18). Selon les contextes et les charismes personnels et communautaires, la forme de la mission peut varier, mais celui qui porte en lui le Christ est forcément « débordé par le don de Dieu » (Christophe Lebreton). Pour ce qui concerne ma communauté, cet Amour se manifeste par le choix du lieu de notre logement, par des gestes d’entraide et de partage, par une qualité d’accueil et d’écoute, mais aussi, le moment venu, par l’annonce du kérygme : « Que celui qui a soif s’approche ! Que celui qui le désire, boive l’eau de la vie gratuitement ! » (Ap 22, 17).
Avez-vous déjà préparé des voisins au baptême ?
Oui, mais je préfère rester discret sur ce sujet. D’ailleurs, la conversion qui m’est demandée, c’est la mienne ! Tout le reste est donné par surcroît. Aimer, c’est d’abord se faire proche de ceux qui sont loin. C’est ensuite écouter et répondre, quand c’est possible, aux besoins de l’autre.
L’accompagnement scolaire est un exemple de demande de nos voisins qui suscite chaque semaine des rencontres entre personnes qui ne se seraient jamais croisées sans ce lieu de fraternité au cœur d’une cité. Le Royaume de Dieu est déjà là !
Quelle est la place de la prière dans votre vie communautaire ?
Elle est essentielle. C’est elle qui rythme nos journées. Nos offices monastiques sont simples mais soignés. Des étudiants et des voisins se joignent régulièrement à nous pour les vêpres. La liturgie, la lectio divina et notre journée de désert hebdomadaire sont notre respiration vitale. Par ailleurs, ils sont un témoignage important auprès des familles musulmanes, même si pour nous l’Amour vaut toutes les prières du monde. Aussi essayons-nous de prier l’Amour de venir habiter nos cœurs, nos appartements et tout notre quartier.