Une découverte fracassante semble suffire pour détourner l’intérêt pour le clonage humain, qu’on disait inéluctable, vers d’autres Graal. Par chance l’éthique sort gagnante.
Coup de tonnerre dans la communauté scientifique. Simultanément, le professeur japonais Yamanaka et l’équipe américaine de James Thomson ont annoncé avoir réussi à transformer des cellules humaines adultes en cellules souches. Sauf preuve du contraire, car le passé nous a habitués à certaines erreurs ou supercheries, on a l’impression d’avoir trouvé un secret d’alchimiste : « C’est un peu comme apprendre à transformer du plomb en or » s’enthousiasme Robert Lanza, de la société américaine Advanced Cell Technology.
Président du Comité éthique de l’Inserm, Jean-Claude Ameisen salue une « véritable révolution scientifique ». Pour expliquer ce qui a été obtenu, on parle d’un « rajeunissement » des cellules, qu’on imaginait aussi impossible que de remonter dans le temps. Et, soudain, en même temps que pourrait s’effondrer l’intérêt pour l’exploitation des embryons humains, sonne l’aveu des difficultés du clonage.
Obstacles techniques d’abord, puisqu’il n’avait pas fallu moins de 277 transferts nucléaires pour obtenir 29 embryons dont un seul, Dolly, premier mammifère cloné, avait survécu jusqu’à sa naissance, en 1996, avant de vieillir prématurément.
Problèmes scientifiques ensuite puisque les chercheurs avouent n’avoir pas compris grand-chose aux facteurs permettant le clonage.
Scrupules éthiques enfin, ou surtout : celui qui restera pour l’histoire de la science le « père » de Dolly, Ian Wilmut, le reconnaît pudiquement. La nouvelle découverte (qui utilise des cellules de peau) est « plus facile à accepter socialement » que le clonage humain. Ce dernier serait grand consommateur des cellules féminines sensibles que sont les ovocytes. La perspective ouverte est « extrêmement passionnante et étonnante » ajoute le chercheur britannique pour expliquer son ralliement. Car il vient de renoncer à exploiter la licence qui lui permet depuis deux ans de tenter le clonage sur l’homme. Certes, le malaise éthique de Ian Wilmut sur ce sujet ne date pas d’hier, mais son revirement semble moins dû à l’éthique qu’à la brèche percée dans l’impossible. C’est un peu comme si l’invention du tracteur avait mis fin à l’esclavage.
En réussissant à « reprogrammer » des cellules adultes ordinaires, le professeur Yamanaka va-t-il provoquer une réconciliation qu’on jugeait improbable ? Elle rapprocherait de l’Église un monde scientifique prompt à transgresser l’éthique de la science. Leurs discours s’harmonisent soudain. « On ne peut plus dire : ‘Il n’y a plus moyen de faire autrement’ » résume Jean-Claude Ameisen, tandis que le Vatican salue le progrès qui lui donne raison : il a toujours récusé une quelconque hostilité face à la science en préconisant qu’on oriente les efforts vers les seuls procédés qui respectent la vie et la dignité humaine.
Le gouvernement américain fait de même dans un pays où le financement public de la recherche sur l’embryon continue de secouer le débat politique. En France, un colloque, organisé le 22 novembre au Sénat par Marie-Thérèse Hermange, confirme les avancées des thérapies cellulaires à partir de cellules-souches adultes ou du sang du cordon ombilical.
C’est une porte de sortie qu’entrevoient les chercheurs ; ils en espèrent des bénéfices en espèces sonnantes et trébuchantes. Des financeurs potentiels ont été effrayés par l’image d’une science sans conscience, suspectée de jouer les apprentis sorciers. Le scandale du professeur coréen Hwang, avec son faux clonage et ses vrais trafics d’ovocytes révélés en 2005, reste un traumatisme majeur pour la communauté scientifique. On sait par ailleurs que la fascination pour le clonage « scientifique » a manipulé l’opinion publique, en faisant miroiter des perspectives thérapeutiques. Les chercheurs sérieux comme le professeur Axel Khan n’ont cessé de les dire hypothétiques et lointaines. Mais de nombreux patients et leurs familles, accrochés à l’espoir de guérison au sein d’organisations très médiatisées, ont pris le parti du rêve des chercheurs, à l’image de l’Association Française contre les Myopathies hébergeant le trublion de la recherche française sur l’embryon en la personne du professeur Marc Peschansky.
C’est une nouvelle donne : il devient difficile de taxer d’obscurantiste la résistance du président américain Bush au financement des recherches sur l’embryon. Quant aux efforts de l’ONU pour disqualifier le clonage humain « reproductif » au risque de requalifier celui qu’on n’ose plus nommer « thérapeutique », ils pourraient bien choir dans les oubliettes de l’Histoire, faute d’enjeu concret.
Sans doute aurait-on préféré que l’éthique soit sauvée par une prise de conscience plutôt que par cette échappatoire. Mais quand la science progresse sans transgresser, elle mérite qu’on la salue.
En quinze ans, dans l’accélération de société qui nous est coutumière, le clonage et ses fantasmes auront peut-être surgi comme une éphémère comète. Des catastrophes de science-fiction s’éloignent. Si tout cela est confirmé, nous n’aurons pas plus de clones dans nos placards que d’hélicoptères dans nos parkings…