L’INTITULÉ d’une telle question, qui devrait paraître scandaleux à tout chrétien cohérent avec sa foi, s’est trouvé largement justifié par une philosophie relativiste et sceptique qui a fini par émousser la ferveur évangélisatrice. La crainte du fondamentalisme religieux et du fanatisme ne rejoint-elle pas celle qui fut à l’origine de l’autonomisation du politique, conçue au XVIe siècle pour sortir l’Europe du fléau des guerres de religion. Depuis lors, un sentiment s’est répandu qui aboutit à une sorte d’axiome universellement partagé : toute foi religieuse représente un danger en elle-même, puisque la conscience d’être en relation directe avec l’absolu produit le fanatisme. Et l’expérience de ce que Raymond Aron appelait les religions séculières n’a fait que renforcer la certitude. Toute conception fondée sur la primauté d’une vérité qui oblige est dangereuse. De là, le développement du relativisime qui s’accorde si bien avec le libéralisme contemporain, du moins celui qui professe qu’on ne peut que s’enquérir du moindre mal, et que la recherche du bien en soi constitue la plus funeste des illusions.
Dans un remarquable essai sur L’Empire du moindre mal (éditions Climats), le philosophe Jean-Claude Michea analyse le contenu de cette idéologie partout prégnante. Un profond pessimisme à l’égard de la nature humaine – l’homme ne peut se libérer de son égoïsme consubstantiel – se ligue avec un optimisme débridé à l’égard de la puissance économique qui se manifeste dans la mondialisation. L’optimisme technologique et commercial fait pendant au pessimisme moral des penseurs de la cité moderne. Les conséquences anthropologiques d’une telle perspective sont plus que redoutables. Il suffit de constater comment on considère sans trembler que certaines découvertes scientifiques « aboliront l’humanité en tant que telle ». C’est un autre aspect de la fameuse fin de l’Histoire annoncée à la fin du XXe siècle.
En d’autres termes, la modernité, débutée à l’enseigne des droits de l’homme, pourrait bien aboutir à l’extinction même de la notion d’humanité. L’ampleur de la contestation de la frontière qui nous sépare de l’animalité n’est qu’un des signes de cette évolution. C’est pourquoi il convient, plus que jamais, avec tous les penseurs qui, en ce moment, commencent à jeter un cri d’alarme, d’examiner sérieusement les liens qui existent entre le relativisme culturel et le déni de la foi. Le salut proposé par le Christ s’adresse à une humanité créée pour une destination divine. Dès lors qu’on a aboli, en les considérant comme dangereuses, les aspirations de la personne à la vérité, à la bonté et à l’amour de Dieu, c’est la dissolution de l’homme qui se profile à l’horizon. Oui, il faut encore et toujours évangéliser les hommes, ne serait-ce que pour les mettre à la hauteur de leur dignité de fils de Dieu et les soustraire à l’infernale tentation de l’à quoi bon ? et du désespoir mortifère. Renoncer à l’évangélisation, ce n’est pas renoncer au prosélytisme, ce serait renoncer à la sollicitude divine pour une humanité rachetée dans le sang du Christ.
Rendez-vous au colloque de l’AED à Paris :
« Peut-on encore évangéliser ? »,
Ce colloque du jeudi 4 octobre – à St-Christophe de Javel 75015 – sera présidé par le cardinal Ivan Dias, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. On y entendra les interventions de Mgr Vingt-Trois, Mgr Rey, Mgr Cattenoz, Gérard Leclerc, Fabrice Hadjadj…
Entrée libre. Inscription obligatoire auprès de
Véronique Belle : belle@aed-france.org ou 01 39 17 30 25.
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