En ouvrant l’éventail de sa majorité présidentielle sans craindre d’allier les contraires, Nicolas Sarkozy a jeté le trouble dans les rangs de l’UMP. On y affiche facilement sa mauvaise humeur en constatant que le camp vaincu est devenu une pépinière de talents.
Au parti socialiste, on fait davantage encore grise mine en subissant les «débauchages». Pour ceux qui s’intéressent au traitement fait à la vie humaine et à la famille, il est difficile de mesurer les menaces et opportunités induites.
Le président a promu des profils tellement contrastés qu’on peut les suspecter de se neutraliser. Certains ont compris ainsi l’adoubement de Fadela Amara comme secrétaire d’Etat à la Ville de Christine Boutin, ministre du Logement. Les convictions de la Présidente du Forum des Républicains Sociaux sont inchangées mais la voilà flanquée d’une militante féministe encartée au parti socialiste.
La fondatrice de «Ni pute, ni soumise» est certes davantage connue pour son implication contre les violences faites aux femmes que pour la promotion de l’avortement (ses anciennes amies ultra-féministes lui reprochent d’ailleurs d’avoir accepté une fonction qui la subordonnerait à celle qu’elles décrivent encore comme la «passionaria de l’ordre moral»). Mais ceux qui misaient sur Christine Boutin pour faire «bouger les lignes» en faveur de la vie ont été choqués.
La nomination de Jack Lang comme vice-président de la mission sur la réforme institutionnelle les a carrément ulcérés. Figure populaire chez les jeunes, il est considéré comme l’archétype du transgressif libertaire, héritier du sacro-saint mai 68 avec lequel Nicolas Sarkozy affirmait vouloir rompre. L’ancien ministre de la Culture ne fut-il pas le premier leader politique à épouser la totalité des revendications homosexuelles ? Il a même regretté publiquement que les films interdits au moins de 16 ans que diffusait M6 ne présentent pas des scènes de sexe plus explicites ! Les optimistes diront qu’il est tombé dans le piège de son ambition en se laissant, comme d’autres, neutraliser.
A ce petit jeu, la maxime immobiliste d’Henri Queuille pourrait tenter l’actuel président. On prête à cette figure de la quatrième République la formule : «Il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre». Pourquoi promouvoir des réformes qui divisent, sur des sujets considérés comme secondaires et minés, quand d’autres réformes, jugées centrales, ne peuvent être abandonnées ?
En matière d’avortement, Nicolas Sarkozy a ainsi rendu hommage à Simone Veil, comme si sa loi avait tout réglé. Le sujet, tabou, reste verrouillé. Le revirement de Xavier Darcos à propos du DVD pédagogique censé parler d’avortement à l’école laisse à penser que l’idéologie soixante-huitarde tétanise toujours à droite.
En matière de bioéthique, la gauche ayant une posture favorable aux nouvelles transgressions, la droite tend à freiner ces évolutions. Mais d’éminents spécialistes de l’UMP plaident pour l’extension de l’expérimentation sur les embryons et le clonage qui serait renommé «transfert nucléaire». Toutefois les ministres et conseillers concernés n’ont pas de doctrine cohérente. Ces débats pourraient s’échelonner sur plusieurs années.
En matière de famille, un jeu du chat et de la souris s’est engagé avec le lobby gay (et son cheval de Troie que constitue Gaylib au sein de l’UMP). Nicolas Sarkozy le flatte, se pose en «promoteur de la cause», mais refuse pour l’instant le mariage homosexuel, revendication emblématique du moment. Il ne faut pas oublier que les municipales auront lieu au printemps 2008. Or 81% des maires sont hostiles au mariage homosexuel. Toutefois, l’alignement du Pacs sur le mariage et sur la fraternité en matière de fiscalité des successions sont déjà donnés en gages. C’est le succès de la politique des petits pas prônée par Gaylib, en attendant le statut de beau-parent et le contrat homosexuel en Mairie promis par le président, mais contesté par une bonne part du lobby gay.
En matière de fin de vie, Nicolas Sarkozy semble revenu de ses hésitations de campagne. Plutôt que de faire évoluer la loi qui interdit l’euthanasie, il préférerait l’application de la loi Leonetti sur la fin de vie assortie d’un plan de développement des soins palliatifs. Que fera Roselyne Bachelot, l’imprévisible, qui affirmait en arrivant au ministère de la Santé que Simone Veil était son «idole» ? Elle aussi pourrait être tentée, en donnant à la France une loi sur l’euthanasie de marquer l’Histoire.
Mais puisque l’inscription dans l’Histoire semble un domaine réservé du nouveau président, c’est sur les idées du chef qu’il faut compter. Aussi incertaines que déterminantes.