La fête de l’Assomption, au cœur de l’été est pour les catholiques une étonnante façon de célébrer avec éclat le miracle de la vie chrétienne. Marie au ciel, revêtue de son corps de gloire, n’est-ce pas le modèle-même de ce que le Christ nous propose ? Prendre sa suite dans son sillage de résurrection pour manifester qu’avec le péché, la mort est définitivement détruite et que l’humanité est appelée à participer complètement à la vie divine. J’avoue avoir toujours été radicalement insensible aux objections faites aux dogmes catholiques mariaux, notamment lorsqu’elles prétendent se fonder sur l’absence de références scripturaires déterminantes pour attribuer de tels privilèges à Marie. Comme si l’Immaculée Conception et l’Assomption n’étaient pas la pure illustration du projet divin sur l’humanité et ne nous proposait pas une icône même de la créature restituée dans la grâce, réalisant enfin la parfaite image et ressemblance.
Parfois, les poètes précèdent les théologiens dans l’expression du mystère perçu dans sa nouveauté et ses profondeurs humano-trinitaires. Que l’on relise Péguy, Claude et Bernanos, et l’on trouvera les formules les plus merveilleusement adaptées pour désigner l’indicible à la connaissance des pauvres et des savants. Mais avant, il y avait eu saint Bernard et Dantes, et il y en aura toujours d’autres. Souvenons-nous de l’extraordinaire hymne à Marie dans le Journal d’un curé de campagne, qu’on ne relit ou récite dans son cœur jamais sans bouleversement. Plus jeune que le péché, nous dit le romancier, qui d’une phrase pulvérise les mauvaises gloses sur la femme soit-disant ordinaire dont l’humilité excluerait l’absence de défaillance, le défaut de volonté… Mais précisément, la bassesse de sa servante, qui exclue toute supériorité mondaine, s’accorde au contraire avec la réception du don gratuit qui est offert à celle qui a prononcé pour l’éternité l’Amen joyeux et irrévocable : “Je suis la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon sa Parole”. A partir de là peuvent jaillir les strophes sans fin de l’hymne acathyste et les litanies de la Sainte Vierge. L’unique Beauté s’est révélée dans le visage de la Femme, plus vénérable que les chérubins, plus admirables que les séraphins.
Avec le misérabilisme marial qui nous est tristement offert ici ou là, on se demande d’ailleurs où commence la constestation du dogme. Plus de conception virginale de Jésus, plus de virginité perpétuelle, c’est l’éradication totale de tout ce qui a été ordonné à la naissance du Verbe, et que nous rappelle sans cesse le Crédo : “Et verbum caro factum est. Et habitavit in nobis” au mépris même des récits évangéliques qui ne souffrent aucune constestation et du témoignage émerveillé de tous ceux qui vivent la réalisation des promesses messianiques, Elisabeth, Syméon ou Anne, on voudrait démythologiser des expressions bibliques non pas pour restituer, comme un Rudolf Bultmann, le noyau de l’espérance pascale, mais pour faire disparaître la Promesse même en son histoire humano-divine. Qui reprend les textes de Matthieu et Luc en leur saveur pleine ne saurait être trompé. Ce n’est pas par entraînement à on ne sait quelles déviations mariolâtrique que l’Eglise a reconnu à Marie tous ses privilèges. C’est par fidélité pure à la Révélation : “Tu es bénie, plus que toutes les femmes, béni aussi est le fruit de ton sein ! Comment m’est-il donné que vienne à moi la Mère de mon Seigneur ? Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l’enfant a bondi d’allégresse dans mon sein. Bienheureuse celle qui a cru : ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s’accomplira”. (Luc 1 42-45)
Le dogme de l’Immaculée conception, très souvent confondu avec celui de la Conception virginale, ce qui constitue un indice sérieux de méconnaissance du sujet) n’a donc rien d’exorbitant eu égard à l’enseignement de l’Ecriture. Il ne fait que traduire explicitement le “Pleine de grâce” de l’Ange Gabriel. En Marie, la souillure du péché ne pouvait atteindre “la Mère de mon Seigneur”. S’étonner d’un pareil privilège, c’est exclure le principe même de la vie selon la grâce. “Dieu ne nous a pas appelés pour que nous demeurions dans l’impureté, mais il nous a appelés à la sainteté”, nous dit Paul dans sa première Lettre aux Thessaloniciens.
Paul, qui ne nous donne pas un enseignement proprement marial, comme Matthieu, Luc et Jean, mais dont toute la théologie soutient, justifie et magnifie le dogme marial. Car pour ce qui est de l’Assomption de Marie au ciel, comment ne pas se rapporter à tout ce que dit l’Apôtre de la Résurrection à laquelle nous sommes tous appelés dans l’attente du jour du Seigneur ? Et c’est d’ailleurs notre propre Assomption qui est décrite dans la même lettre : “Nous, les vivants qui seront restés, nous serons enlevés avec eux (les morts) dans les nuées, à la rencontre du Seigneur, dans les airs, et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur.” Que l’Eglise ait considéré que la Mère de Dieu a été la première à accéder à cette rencontre, n’a rien de contraire à la logique la plus profonde de la Révélation.
C’est au demeurant l’enseignement que l’on retrouve dans la première lettre aux Corintiens, qui développe longuement le thème de la résurrection d’entre les morts avec une ampleur impressionnante où nous ne pouvons pas ne pas reconnaître l’Assomption mariale. “Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui sont morts […] comme tous meurent en Adam, en Christ tous recevront la vie, mais chacun à son rang.” (1 Cor 15, 20-23). J’ai toujours été impressionné par la grande affirmation paulinienne : “Le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort”. Et j’y discerne un motif de plus pour célébrer en cette magnifique fête du 15 août, la victoire manifeste de Celui qui a glorifié à sa suite sa Mère très sainte, en signifiant jusqu’à l’accomplissement final qu’en Marie, nouvelle Eve et Mère du genre humain, ce dernier était appelé à une même consécration et à une même glorification.
En détruisant la mort, la puissance de Dieu établit l’humanité en relation avec Marie dont l’Assomption glorieuse nous attire tous auprès de lui. C’est donc que dans cet événement inouï, c’est toute la symphonie de notre salut qui retentit et montre à quel point le peuple chrétien est émerveillé par celle où il reconnaît son espérance déjà accomplie.
Gérard LECLERC
Voir l’entretien entre Gérard Leclerc et le cardinal Lustiger (19 septembre 2006) 60 minutes sur KTO