Est-ce une Europe simplifiée qui émergera de ce traité simplifié, négocié dans la douleur à Bruxelles, sous les auspices de la chancelière Angela Merkel, puissamment secondée par le nouveau et dynamique président français ? Oui et non. Oui, parce que le compromis obtenu permet de sortir de la confusion engendrée par les refus français et néerlandais au projet du traité constitutionnel. Non, car l’Europe qui s’est ainsi retrouvée n’a nullement éliminé ses propres contradictions, laissant les fédéralistes amers, la Grande-Bretagne toujours aussi sceptique et les pays de l’Est très réservés sur le sens du projet commun. Peut-être pourra-t-on avancer vers des politiques communes sur des objectifs concrets à propos de l’immigration, de l’énergie et du développement durable, et être plus présent à propos de quelques crises aiguës sur la scène internationale. Mais la question posée par Jacques Delors à l’enseigne d’une fédération d’Etats-nations demeure problématique, tant que le problème des frontières communes et de l’élargissement n’est pas résolu, avec en plus le casse-tête d’une éventuelle entrée de la Turquie.
De surcroît, comment prétendre fonder la construction européenne sur l’absence de consentement populaire, sous prétexte qu’un nouveau désaveu du peuple français serait suicidaire ? Sans doute la perspective ambitieuse d’une “Constitution” a-t-elle été abandonnée au profit de quelques règles de fonctionnement. Mais il demeure quand même un malaise qui s’alourdit lorsque l’on perçoit les désaccords qui demeurent sur le sens véritable de l’Union. Est-elle faite pour protéger les pays des violences de la mondialisation ou est-elle au service d’un processus accéléré de libéralisme économique ? Par ailleurs, même si on s’inquiète de certains aspects de la résistance de Varsovie à Bruxelles, une conscience catholique ne peut qu’adhérer aux réserves émises par le président Kaczinski sur la charte des droits fondamentaux.
Celle-ci, demandent les Polonais, ne devrait porter atteinte en
aucune manière “au droit des Etats de légiférer dans le domaine de la moralité publique, du droit de la famille, de la protection de la dignité humaine, de l’intégrité humaine, physique et morale”. De telles réserves sont significatives de l’ambiguïté d’une Europe qui refuse de reconnaître son lien avec ses origines chrétiennes et surtout ce qu’il implique anthropologiquement. L’idée d’une réconciliation des peuples d’un même continent était magnifique dans le contexte de l’après-guerre, elle devait être au principe d’une construction ambitieuse. Il ne faudrait pas que les ambiguïtés et les dérives en fassent un objet de division, au risque de la désunion morale et civile des peuples.
Gérard LECLERC