3072-Esclavage et mémoire - France Catholique
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3072-Esclavage et mémoire

La 10 mai, on célèbre désormais l’abolition de l’esclavage, au prix de règlements de comptes politiques autour d’une histoire toujours à vif. Mais les nouveaux esclavages y sont passés sous silence.
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Il y eut les mots puis l’image. Les mots inclus dans le discours solennel de Nicolas Sarkozy le soir de son élection, préconisant d’en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi. L’image silencieuse, emblématique, du même homme, aux côtés de son prédécesseur à la cérémonie du 10 mai commémorant l’abolition de l’esclavage dans les jardins du Luxembourg. Contradiction ?

La presse se fait écho de protestation d’Antillais clamant, en marge de la cérémonie : « Les descendants, c’est nous ! »… contre la surreprésentation des blancs aux premiers rangs, autour des « deux présidents ».

Le Front national crie à la repentance…

A gauche, d’autres critiques fusent contre le nouveau président. On exhume sa phrase sur « le rôle positif de la colonisation » en imaginant son corolaire : le rôle positif de l’esclavage.

Quant à Christiane Taubira, à laquelle on doit cette commémoration avec la loi du 21 mai 2001 qui tend à la reconnaissance par la France de « la traite négrière, de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité », elle ne ménage pas ses critiques contre le vainqueur de l’élection présidentielle. Dans l’entourage de ce dernier on se contente de contester l’assimilation de la commémoration à de la repentance.

Pendant ce temps, France 3 commence la diffusion de Tropiques amers, fresque cinématographique en cinq parties. Son réalisateur, Jean-Claude Barny, entend présenter de l’esclavage aux Antilles une vision historiquement juste, et pédagogique.

A n’en pas douter, l’histoire, sa célébration, sa relecture – sans oublier son enseignement – constituent toujours un enjeu politique sensible dans l’hexagone. Cela ne concerne pas que le génocide arménien. La politisation de l’Histoire de France conduit à son exploitation intéressée, et à certaines interprétations à sens unique.

Pour l’historien Claude Liauzu, interrogé par Libération « Les commémorations font partie de la culture française ». Maître d’œuvre d’un Dictionnaire de la colonisation française (Larousse) il reconnaît que celle du 10 mai répond à une « très forte demande des associations » que, selon lui, « il fallait respecter ». Mais l’historien de pointer les limites du procédé commémoratif : « ce type d’exercice permet aux politiques de se donner bonne conscience en reconnaissant les crimes du passé, mais ne règle aucun des problèmes du présent ».

En ce qui concerne le passé, il semble toutefois qu’un décalage demeure entre l’imagerie d’Epinal de l’esclavagisme et sa réalité. De solides travaux d’historiens ont montré qu’il était réducteur de présenter l’esclavage sous le seul angle de l’exploitation raciste des hommes de couleur par les Occidentaux. L’économie de la traite sévissait en Orient, et en Afrique pré-coloniale autant que post-coloniale. Elle perdure d’ailleurs, sous sa forme ethnique, dans certaines zones comme au Soudan.

Mais le sujet reste tabou en France. Le traumatisme généalogique de l’esclavage tend à produire dans les Antilles françaises une revendication victimaire, nourrie par un mélange détonnant de complexe et de ressentiment, sur fond de déracinement culturel originel, qu’il est difficile de gérer sur le plan psychologique. Et comment imaginer réparer ?

Par ailleurs et surtout, malgré cette complexité, la question de l’esclavage resterait presque symbolique s’il ne s’agissait que d’histoire révolue. Battre la coulpe de certains ancêtres, réhabiliter la mémoire d’autres, encenser Schoelcher ou stigmatiser Napoléon, cela n’engage pas bien loin. Mais le trafic et l’exploitation mercantile des êtres humains ne continue-t-il pas ici et maintenant ?

Travail forcé, traite domestique, réseaux de prostitution et jusqu’aux récentes instrumentalisations d’embryons in vivo : les « nouveaux esclavages », parfois légaux, se développent dans le déni. Les célébrations qu’on réserve au passé nous dédouaneraient-elles de la lucidité sur les abus présents, les seuls que nous soyons en mesure de combattre ? Certaines repentances semblent exonérer la conscience au lieu de l’éclairer.

Tugdual DERVILLE