Ce devait être une conversation de salon entre un philosophe et un politique. Exercice de style destiné à garantir aux électeurs peu férus de populisme qu’un candidat est capable de tenir la réplique à un intellectuel emblématique. Sur ce plan, l’entretien Onfray-Sarkozy semble avoir tourné au fiasco tant fut unanime la levée de boucliers déclenchée par trois mots du candidat UMP : «on naît pédophile».
Il avait pourtant usé d’une formule précautionneuse en confiant son “inclination à penser» que la pédophilie est innée, et c’était pour confesser aussitôt une forme d’impuissance : «c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions pas gérer cette pathologie.» Mais Nicolas Sarkozy étendait aussi son parti-pris pour l’inné à la propension de certains jeunes à se suicider «parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable».
François Bayrou s’est engouffré dans la brèche parlant de «dérapage très lourd» et estimant ces «propos terriblement inquiétants» : «Je ne crois pas qu’il y ait un médecin, un psychiatre en France qui puisse entendre ces propos sans frémir» a renchéri le candidat UDF, allant jusqu’à suspecter son adversaire de flirter avec les thèses eugénistes des nazis : «Si on voulait pousser, ce sont des propos comme on n’en a pas tenus en Europe depuis très longtemps». Ségolène Royal a quant à elle affirmé «Je laisse les scientifiques répondre» et son codirecteur de campagne Jean-Louis Bianco s’est contenté de qualifier ces mots de «surprenants» avant d’ajouter : «Dans ce cas particulier, ce type de propos tend à excuser par avance tous les prédateurs d’enfants». Le généticien Axel Kahn a de son côté précisé que l’état actuel de la connaissance n’accrédite pas l’idée de prédispositions génétiques à la pédophilie ou au suicide.
La polémique est l’occasion pour la presse de rappeler la proposition de l’ancien ministre de l’Intérieur de dépister précocement les troubles du comportement prédisposant à la criminalité. Les dispositions critiquées à l’époque avaient été retirées de son projet de loi relatif à la prévention de la délinquance en juin 2006. Pourtant, il ne parlait pas alors d’une délinquance génétique-ment programmée, mais “acquise” du fait d’une carence éducative précoce, au risque de stigmatiser les familles instables ou monoparentales : les mères seules peuvent être en difficulté pour juguler la violence naturelle des petits enfants, qui s’exprime classiquement dès 2 ans, et sont parfois dépassées lorsqu’il s’agit de canaliser l’agressivité adolescente.
Cette fois, le candidat UMP semble avoir voulu soulager la conscience des parents, qui se culpabilisent des épreuves de leurs enfants, quelles qu’elles soient. A propos du suicide il déclarait à Michel Onfray : «Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! » Le 12 avril, dans une interview à Libération, Nicolas Sarkozy s’est justifié. Nuançant d’abord son propos («J’ai expliqué que tout ne dépendait pas de l’acquis, mais qu’une partie pouvait être de l’inné. Dans quelle proportion ? Je ne suis pas savant») il a ensuite tenté de retourner la polémique : «Quand j’étais enfant, j’étais choqué parce que l’on expliquait, quand un enfant était homosexuel : ‘’Sa mère a eu tort, elle a dormi avec lui’’ ; Quand un enfant était anorexique, on disait : ‘’Le père était absent.’’ ; Quand un enfant était autiste, on disait : ‘’Oh là ! Les parents ont divorcé, cela a provoqué un choc.’’ Depuis, on sait que l’autisme, c’est génétique. Je pense aussi que la sexualité est une identité.» Le candidat UMP a-t-il cru revenir sur un terrain moins mouvant ? «Je suis né hétérosexuel. Je ne me suis jamais posé la question du choix de ma sexualité» a-t-il affirmé avant d’estimer «choquante» la position «consistant à dire ‘’l’homosexualité est un péché’’». Il s’est aussitôt attiré les foudres… du lobby homosexuel, par la voix de l’Inter-LGBT (‘’les—bienne-gay-bi-et- trans’’) : «Pour des notions qui n’ont rien à voir entre elles (comportements criminels, pathologies et orientation sexuelle), [Nicolas Sarkozy] suggère une explication commune (…) pour mettre en avant un déterminisme génétique (…) Il dresse des parallèles entre la pédophilie, Guy Georges, l’autisme, le suicide et l’homosexualité (…). Sa théorie, hésitante et mal étayée, prête ainsi à tous les amalgames.» Et l’association organisatrice de la Gay pride de poursuivre : «Certes, Nicolas Sarkozy contredit l’Église catholique qui juge l’homosexualité comme un comportement déviant et rectifiable, distinct de l’identité. Mais il le fait pour renforcer une théorie douteuse, en décidant que l’homosexualité est innée – qu’en sait-il ? – et qu’il ne faut pas en renvoyer la responsabilité aux mères. Comme si les homosexuels constituaient un tel problème qu’il faudrait leur trouver une excuse scientifique qui ne rejette pas la « faute » sur leurs parents.»
La sexualité est décidément devenue un thème politique sensible… Un dialogue à bâtons rompu sur ce sujet a peut-être fait sortir Nicolas Sarkozy de cette «concentration» qu’il s’est donnée comme mot d’ordre pour la fin de sa campagne.
Réagissant sur RTL, le mercredi 7 avril, Mgr André Vingt-Trois était, quant à lui, sorti du débat entre l’inné et l’acquis pour souligner la responsabilité personnelle : «L’homme est libre. Je voudrais que l’on n’oublie pas aussi que l’on est dans une société qui fait une chasse génétique. Quand on décrète que des enfants atteints de trisomie 21 ne doivent pas naître, qu’est-ce qu’on fait ?»
«Ce qui me paraît plus grave, avait poursuivi l’archevêque de Paris, c’est l’idée qu’on ne peut pas changer le cours du destin (…) C’est vrai quand on prend la perspective génétique, mais c’est aussi vrai quand on prend la perspective sociologique. Parce que dire que quelqu’un est prédéterminé par la famille qui l’a entouré, par les conditions dans lesquelles il a vécu, ça veut dire que l’homme est conditionné absolument».
Tugdual DERVILLE