C’est une déclaration conjointe exceptionnelle qui a été rendue publique le 2 avril 2007 par Mgr André Vingt-trois et David Messas, respectivement archevêque et grand Rabbin de Paris. Intitulée «le soin des malades en fin de vie», elle s’inscrit dans une tradition de dialogue entre juifs et catholiques qui permet d’aboutir à «une lecture commune de la loi du 22 avril 2005, dite ‘loi Leonetti’, relative aux droits des malades en fin de vie».
En 7 points denses et concrets, les responsables religieux analysent d’une seule voix «ce sujet qui touche une question essentielle : le respect de la vie humaine et l’attention que les bien-portants doivent aux mourants ou à ceux qui sont gravement malades». On découvre un même regard sur les patients en fin de vie et sur les exigences sur la médecine, tant dans le devoir de soigner que dans l’application du commandement biblique «Tu ne tueras pas».
Tour à tour, le texte évoque «le droit et le devoir de toute personne de prendre un soin raisonnable de sa santé et de sa vie», «le devoir (…) de la famille et des soignants de prodiguer à un malade les soins nécessaires», (…) le refus du suicide, de «toute forme d’assistance au suicide» et de «tout acte d’euthanasie, celle-ci étant comprise comme tout comportement, action ou omission, dont l’objectif est de donner la mort à une personne pour mettre ainsi fin à ses souffrances». On retrouve en substance la définition de l’euthanasie proposée par l’Evangile de la vie (art n°65) qui refuse de distinguer l’euthanasie «active» (piqûre létale) de l’euthanasie « passive » (mort délibérément provoquée par abstention ou arrêt thérapeutique).
Juifs et catholiques soutiennent la plupart des dispositions de la loi Leonetti : développement des soins palliatifs, licéité d’«un traitement [analgésique] qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie» à condition, notamment, «que l’éventuel effet secondaire d’abrègement de la vie ne soit en aucune façon recherchée». C’est ce qu’on appelle en morale, l’acte à double-effet. De même est considéré comme «juste», le refus de l’acharnement thérapeutique, vocabulaire que n’utilise pas la déclaration qui préfère les formulations plus fines de traitements disproportionnés ou d’obstination déraisonnable.
Les points 6 et 7 manifestent en revanche une vigilance commune vis-à-vis de la question éthique la plus sensible de la loi Leonetti, celle de l’alimentation du malade. Insistant sur le «devoir de continuer à prendre soin de lui», le texte affirme : «nous jugeons qu’il est de la plus haute importance de chercher le moyen et la manière les plus adéquats d’alimenter le malade en privilégiant dans toute la mesure du possible la voix naturelle (…)». Les auteurs considèrent l’usage d’une voie artificielle pour l’alimentation et l’hydratation comme nécessaire «en cas de véritable impossibilité ou de risque de ‘fausse route’ mettant en danger la vie du malade». Ils affirment ensemble que leur «limitation ou abstention ne doit jamais devenir un moyen d’abréger la vie» et concluent logiquement que : «en ce qui concerne l’apport de nutriments, la loi du 22 avril présente une réelle ambiguïté». La déclaration demande donc que l’on garantisse aux «malades chroniques hors d’état d’exprimer leur volonté l’alimentation et l’hydratation par voie naturelle ou artificielle (…) même lorsque la décision a été prise de limiter les traitements médicaux proprement dits.» Cette prise de position conteste implicitement l’assimilation effectuée par la loi Leonetti, dans son préambule, entre alimentation ou hydratation (soins qui sont toujours dus) et traitements (qui peuvent être disproportionnés).
Après les offensives indirectes ou frontales des partisans de l’euthanasie, la prise de position commune des juifs et des catholiques de Paris fait figure d’événement par son caractère précis et pratique. Le degré d’unité qu’elle manifeste sur un sujet complexe est aux antipodes de la langue de bois. Un tel rapprochement de responsables religieux sur une question de société n’est pas un phénomène isolé. Le 7 février 2007, neuf responsables religieux de Lyon, dont le cardinal Barbarin, avaient soutenu en commun le mariage comme «l’union d’un homme et d’une femme». En 2006, l’abbé Yves Moreau a quant à lui proposé aux dignitaires religieux des environs de sa paroisse girondine une prière interconfessionnelle pour la vie. Au moment de la fête des mères que les évêques de France ont proposée comme journée nationale pour la vie, sa proposition a été favorablement accueillie dans une mosquée, deux synagogues, une église orthodoxe grecque, deux temples protestants et plusieurs églises catholiques. Son intuition : rassembler les croyants autour du décalogue.
Tugdual DERVILLE
Pour aller plus loin :
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
- Islam et Décalogue
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- Les Droits Naturels - existent-ils ?
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