Tugdual Derville, pourquoi un Programme pour la vie ?
C’est une idée qui a germé il y a plusieurs mois lorsqu’avec Xavier Mirabel, notre président, et Caroline Roux, notre secrétaire générale, nous avons vu la tournure prise par ces élections. Sur les thèmes qui motivent notre engagement, nous avions conscience d’être confrontés à des menaces (eugénisme, euthanasie, homoparentalité) ou à l’étouffement du débat (avortement, pornographie). Or, ce sont des sujets difficiles, douloureux, mais qu’on ne peut pas laisser sous silence, qui ne peuvent pas être simplement abandonnés à « la sphère privée », d’autant que la loi s’en empare. Nous savons bien que ce sont des enjeux éminemment politiques. Le respect de la vie et de la dignité de tout être humain devrait même être le point de départ d’une société qui se dit démocratique. C’est pourquoi nous avons décidé de décliner cette exigence toute naturelle en un véritable programme et à le promouvoir au début de la campagne officielle.
Comment s’est élaboré ce document ?
Depuis que nous réalisons des outils d’information et de sensibilisation au service de la vie, c’est sans doute le projet qui nous a demandé le plus de travail. Nous sommes partis de deux sources : notre observation quotidienne du débat sur ces sujets (ce qu’on en lit dans la presse, ce qu’en disent les candidats, les « données officielles »…) et des témoignages personnels sur les épreuves de la vie. Avec nos équipes, nous avons recueilli ces témoignages par centaines dans les différents départements. Il faut rejoindre les cœurs, et pour cela partir de l’expérience que nos contemporains ont des maternités difficiles, de la souffrance, de la maladie, de la mort…
Pour éclairer et encourager les
personnes, il ne suffit pas
d’énoncer des principes, même respectables. Il est essentiel d’expliquer que c’est par ignorance, confusion ou peur que se développent les atteintes à
la vie.
Comment votre Programme a-t-il été distribué et reçu ?
Distribuer un document est une action toute simple qui demande un peu d’organisation. Mais cela exige beaucoup de motivation. Plusieurs milliers de volontaires se sont impliqués, ville par ville, pour descendre dans la rue et donner ce document aux passants.
Je dois dire mon admiration pour tous ceux qui ont fait cette démarche. C’est déjà difficile de manifester en groupe pour des convictions, mais là, il s’agit de s’éparpiller dans les rues, par équipes de 3 ou 5 et d’aller à la rencontre des gens, les yeux dans les yeux, avec le sourire. Généralement, le document est bien accueilli dans la mesure où sa présentation n’a rien d’agressif, et qu’il est à la fois explicatif et argumenté.
Malgré toutes nos précautions, nous savons toutefois que nous touchons des cordes sensibles. Certaines réactions sont parfois vives. Sur plusieurs centaines d’équipes agissant pour cette campagne, nous avons enregistré trois incidents sérieux : des personnes qui profèrent des menaces, tentent d’ameuter la foule, mais aussi des journalistes et, parfois, arrachent le dépliant des mains de ceux qui les distribuent ou tentent d’en dérober des paquets entiers. Pour nos volontaires, c’est une expérience douloureuse d’être insultés alors qu’ils ont à cœur de partager paisiblement le souci du respect du plus faible. Nous acceptons le risque d’être incompris, même si provoquer la colère n’est pas notre intention.
Heureusement, nous avons reçu d’assez nombreux messages d’encouragement pour compenser ces moments plus difficiles.
Quels sont les sujets les plus « sensibles » ?
Incontestablement, c’est d’abord celui de l’avortement. Il concerne intimement une forte proportion de nos concitoyens. C’est là que nous devons avoir une formulation ajustée, ne condamnant pas les personnes mais expliquant le besoin des solutions de vie en cas de grossesse imprévue ou difficile. La seule idée qu’on puisse être « anti-IVG » peut provoquer, surtout chez des femmes d’un certain âge, un rejet virulent. C’est révélateur d’un malaise.
Sur les enjeux bioéthiques, la plupart de nos contemporains semblent ignorants. Nous espérons que les informations officielles données par nos documents (par exemple sur le nombre d’embryons congelés) contribueront à une prise de conscience.
Sur la fin de vie, notre Programme promeut des réponses à la souffrance qui excluent l’euthanasie. C’est particulièrement important car les affaires récentes ont induit en erreur beaucoup de Français : ils ignorent que la médecine peut toujours soigner, même quand elle n’est pas capable de guérir, et qu’il ne s’agit pas d’abandonner les personnes souffrantes, dépendantes ou en fin de vie, mais de les accompagner. Les Chartes que nous proposons vont dans ce sens.
Le sujet intitulé « Enfance et sexualité » est celui qui est le plus consensuel. Ce qui est choquant, c’est l’abîme entre l’adhésion des Français à la protection de l’enfance contre toutes les agressions de la pornographie et la réalité qu’endurent les enfants et adolescents. Des intérêts idéologiques et financiers puissants expliquent sans doute ce décalage.
Qu’espérez-vous d’une telle distribution ?
Rejoindre le public. D’une certaine manière, c’est la seule façon pour nous de le toucher, puisque nous nous heurtons encore à beaucoup d’ostracisme dans les médias. Nous sommes finalement heureux de fonder notre travail sur la rencontre directe de personne à personne. Dans les grandes villes, le dépliant se diffuse très vite et sera découvert souvent plus tard, dans les transports en commun ou chez soi. Mais dans les campagnes ou sur les marchés où l’on a davantage de temps, c’est une source de discussions et de débat.
Nous avons aussi le témoignage de conversations avec les militants politiques qui distribuaient leurs tracts. Certains sont surpris que des volontaires investissent la campagne sans prendre position pour ou contre un candidat. Sur le marché de Versailles, les jeunes UMP distribuaient pour le week-end du Sidaction des préservatifs aux passants… La conversation avec les membres de l’Alliance pour les droits de la Vie présents au même endroit leur a donné un autre éclairage. Et nous avons prévu de les rencontrer pour expliciter les constats qui figurent sur notre Programme. Par ailleurs, des titres de la presse quotidienne régionale, moins fermée que certains médias nationaux, ont relaté avec neutralité notre distribution. L’idée qu’un Programme pour la vie puisse être considéré comme légitime, c’est en soi un premier résultat. La diffusion d’un million de programmes ne peut retourner les choses en quelques jours, mais nous sommes persuadés qu’au fil des semaines, voire des années, nous y viendrons.
Qu’est-ce qui vous donne cette conviction ?
Regardez le pacte écologique de Nicolas Hulot, signé par cinq candidats, dont le trio Sarkozy/Royal/Bayrou… On sait bien qu’ils l’ont fait parce que la puissance médiatique de l’animateur de télévision rendait cette adhésion obligatoire. En signant, un candidat exprime que l’environnement est un sujet politique majeur, une priorité. Pour en arriver là, le mouvement écologique a mis plusieurs dizaines d’années. Il est né aux marges de la société dans des groupuscules qui, même s’ils ont été gangrénés par l’idéologie, peuvent nous édifier par leur créativité et leur ténacité. Progressivement, le souci de l’environnement s’est imposé en politique. On n’imaginerait plus un gouvernement écartant cette thématique. Bon gré mal gré, nous sommes conduits à trier nos déchets, et les entreprises sont forcées de se soumettre aux exigences environnementales. Or, si cette question est incontestable, celle de la vie l’est bien davantage. C’est ce que nous exprimons dans notre Programme : « la santé, l’économie, l’environnement, c’est important (…) La vie, c’est essentiel ».
Notre campagne est donc tout autant destinée à interpeller et influencer les électeurs et les candidats qu’à poser un premier jalon pour que le respect de la vie s’impose progressivement comme une priorité consensuelle.
N’est-ce pas un mouvement inverse qui menace ?
Oui et non. Nous n’ignorons pas les projets très dangereux qui nous guettent dans les domaines que j’ai déjà évoqués. Les lobbies de l’euthanasie, du scientisme ou de l’homoparentalité sont en pleine offensive et de nombreux candidats y sont sensibles. Ce constat entre dans notre motivation de ne pas leur laisser le champ libre. Sur l’euthanasie, la multitude des réactions aux déclarations ambiguës de Nicolas Sarkozy semble heureusement avoir conduit à un rééquilibrage de sa position puisqu’il affirme désormais ne plus vouloir changer la loi. Nous aimerions que le candidat UMP revienne aussi sur l’intention qu’il avait exprimée de conclure des contrats d’union civile en mairie.
Plus encore que l’évolution des leaders politiques, c’est celle de la société qui peut nous inquiéter. Je pense à certains sondages d’opinion sur l’euthanasie ou à l’éclatement des repères familiaux et aux souffrances qui en résultent. Tout cela peut se propager par vague sur plusieurs générations. De ce point de vue c’est un « tsunami culturel » qui menace. Nous ne prétendons pas stopper un tel déferlement, mais notre Programme rappelle la vérité. On sait qu’une petite lumière résiste aux plus noires ténèbres. En même temps, il y a aussi des points positifs. Ces « signes de vie » sont essentiels à reconnaître : car il serait catastrophique d’entretenir une vision du monde pessimiste ou désespérée.
De quels signes parlez-vous ?
Il y en a beaucoup. Je peux citer quelques exemples. Le débat sur l’eugénisme n’est plus tabou dans notre société. Le président du Comité Consultatif National d’Ethique en personne, Didier Sicard, a reconnu que la France était entrée, sur cette question, dans une dérive. Il y a aussi un autre début de prise de conscience avec certaines affaires judiciaires : des parents endeuillés par la perte accidentelle d’un bébé attendu demandant que la justice leur reconnaisse ce préjudice. Grâce aux progrès de l’imagerie médicale et de la psychologie anténatale, on ne pourra pas nier durablement l’humanité du fœtus. Les scientifiques, qui continuent de prétendre que l’être humain devient une personne en fonction d’un « projet parental », ne pourront pas tenir cette position obscurantiste.
A l’autre bout de la vie, le mouvement de soins palliatifs ou la lutte contre la douleur constituent également des signes magnifiques. L’attitude face à ceux qui sont dans l’épreuve progresse, même si l’illusion d’une éradication de la souffrance continue de se développer. Il est donc essentiel que de nombreuses personnes se penchent avec respect sur les malades et les mourants, et c’est de plus en plus le cas. Enfin, il faut aussi reconnaître que notre société, malgré ses errances, tend à reconnaître de façon croissante que l’enfant est respectable, qu’il a besoin d’être élevé de façon équilibrée. Pour ceux qui douteraient de tels progrès, la lutte contre la pédophilie présente un exemple incontestable de prise de conscience positive.
Tout cela nous conduit à ressaisir que le respect de la vie est finalement un souci consensuel. On lutte contre le cancer, le suicide… On se réjouit de voir les comportements au volant s’adoucir : on mesure même le nombre de vies épargnées chaque année grâce à une prévention accrue des accidents de la circulation…
L’immense majorité des personnes considère que la vie est un bien précieux, à
préserver et sauvegarder. En quelques années on a même reconnu les dégâts du cannabis au volant, alors qu’il y a cinq ou dix ans des candidats vantaient cette drogue qu’ils prétendaient douce ! C’est à partir de ces élans positifs qu’il faut inciter à la cohérence, en prônant le respect de l’être humain de la conception à la mort naturelle.
Quelles suites comptez-vous donner au Programme pour la vie ?
Nous allons d’abord poursuivre notre distribution en adressant le Programme aux responsables politiques.
Nous allons aussi récolter et communiquer les positions des candidats sur les quatre mesures-clés que nous préconisons : respect de l’embryon, politique d’accueil de la vie, protection de l’enfance et véritable soutien aux personnes dépendantes et en fin de vie. Après les présidentielles, notre Programme sera tout aussi valable pour les législatives et pour le futur gouvernement, quel qu’il soit.
Nous envisageons, à l’image d’autres mouvements épousant d’autres causes, traduire le Programme pour la vie en bilans annuels des avancées et reculs de la protection de la vie dans notre pays. Nous savons que c’est au prix de la ténacité que cette urgence sera prise en compte.
propos recueillis par Frédéric AIMARD