L’Ethiopie reste un pays majoritairement chrétien (orthodoxe) mais la proportion des musulmans ne cesse d’augmenter (entre 35 et 45 %). Selon les régions, la cohabitation y est plus ou moins paisible mais des craintes apparaissent pour l’avenir. Le pays compte quelque 80 ethnies parlant plus de 290 langues, ce qui se traduit par des tensions locales d’intensité variable.
L’Eglise catholique est très minoritaire (1% de la population) mais est présente dans l’Education et la Santé, ce qui lui assure un rayonnement et une forte reconnaissance de la part de la population et des autorités. Les moyens sur place étant réduits, l’Eglise doit être soutenue financièrement par des œuvres d’Eglise, telle l’AED (Aide à l’Eglise en Détresse).
Jeudi 15 février
Arrivée à Addis-Abeba. La ville, siège de l’Union Africaine, est de facto la capitale de l’Afrique. Située à 2400 m d’altitude, la chaleur n’y est pas étouffante et les nuits même un peu fraîches.
Avec des amis français habitant la capitale, nous évoquons la situation de la Somalie voisine. Pour se retirer, les troupes éthiopiennes attendent l’arrivée des forces de l’Union Africaine, mais cela semble tarder. Il est visiblement question de financement, mais également de préparation des
troupes. Forte de son expérience et de sa présence militaire encore importante en Afrique, la France propose une formation d’encadrement pour cette force d’intervention. Elle voudrait faire adopter cela par l’Europe mais certains pays sont réticents, craignant des objectifs occultes.
La France fournit 24% du budget de l’Europe pour la Coopération mais n’a ensuite que très peu de pouvoir de décision. D’autres pays préfèrent donner au coup par coup, comme les Anglais ou les Hollandais par exemple. Lorsqu’il y a une crise comme le Darfour, ils annoncent une aide importante et médiatisée. Les Français ne donnent presque rien car ils ont déjà tout dépensé au niveau européen.
Il est vrai qu’on est en droit de se poser des questions sur la politique africaine de la France. L’on entretient des dispositifs coûteux tout en s’interdisant d’intervenir, ce qui manque parfois de clarté, c’est le moins qu’on puisse dire…
Rencontre l’après-midi avec le Patriarche orthodoxe, Abune Paulos. Il est le chef de l’Eglise orthodoxe éthiopienne, un peu plus de la moitié de la population du pays, à peu près 500.000
prêtres et moines, 40.000 églises et monastères. Il ne se sent pas menacé par les sectes, pourtant nombreuses et actives, ni par les musulmans qui, dit-il, exagèrent toujours leur nombre pour gagner en influence politique. Il y a bien eu des églises orthodoxes brûlées dans le sud ainsi que 17 morts il y a deux mois, mais cela est mis sur le compte de dérapages liés à la situation en Somalie.
Persécutée par le régime Mengistu, son Institut théologique a été fermé pendant 17 ans, l’Eglise orthodoxe reste néanmoins vivante dans le cœur de beaucoup d’Ethiopiens. Les racines culturelles de ce peuple sont dans sa religion. A Addis-Abeba, l’Eglise orthodoxe dispose d’un parc immobilier qui lui procure des revenus substantiels, mais insuffisants au vu du nombre de clercs.
L’Ethiopie s’apprête à fêter son « Millenium », l’an 2000 avec 7 ans de retard sur notre calendrier. Pour l’Eglise, c’est les 2000 ans de l’Incarnation du Christ. Pour le gouvernement qui cherche à laïciser l’événement, ce sera les 2000 ans de l’ère éthiopienne, ce qui bien sûr ne veut strictement rien dire !
A l’approche de cette fête, l’Eglise orthodoxe éthiopienne est malheureusement divisée avec un schisme dont l’ancien Patriarche, aujourd’hui exilé aux Etats-Unis, est à l’origine. Il a ordonné 13 évêques de son côté et les deux Patriarches ont excommunié leur synode respectif ! Des considérations politiques – trop grande proximité avec le gouvernement – semblent être à l’origine de ces querelles dramatiques.
Rencontre ensuite avec le métropolite catholique, l’archevêque d’Addis-Abeba, Mgr Berhaneyesus. Très sympathique, je l’avais déjà rencontré à Paris pour l’anniversaire de l’Œuvre d’Orient. En Ethiopie, il y a deux rites catholiques, le rite éthiopien (très proche du rite orthodoxe éthiopien) et le rite latin. On compte 3 diocèses de rite éthiopien, 5 vicariats apostoliques de rite latin et 2 préfectures apostoliques, également latines.
Le rite éthiopien correspond vraiment à l’âme éthiopienne et des efforts sont faits pour conserver et développer ce rite, le rite latin étant considéré comme étranger. D’un autre côté, le rite éthiopien est, comme la plupart des rites orientaux, d’origine monastique et bien adapté aux… monastères ! Pour des citadins, dans une grande ville comme Addis-Abeba, il n’est pas sûr que les longs offices en langue liturgique (guèze), non-comprise, soient la panacée en vue de l’évangélisation. Le rite latin, plus court, a également pour avantage d’être décliné dans les principales langues du pays, ce qui est apprécié par les populations concernées. L’imposition du rite éthiopien leur apparaît comme une forme de « colonisation » par l’ethnie amhara, qui détient effectivement le pouvoir central en Ethiopie. Face à ce problème des rivalités ethniques, le gouvernement doit agir avec fermeté (où s’arrête la fermeté et où commence le pouvoir arbitraire ?) pour conserver l’unité du pays.
Il reste encore beaucoup de missionnaires étrangers, surtout italiens, l’Ethiopie ayant été occupée par l’Italie pendant cinq ans (de 1936 à 1941). Avec l’inghera, espèce de galette locale incontournable, nous aurons droit à des spaghettis à tous les repas ! Sur près de 1.000 religieux et religieuses, 450 sont étrangers. Le dernier évêque ordonné en Ethiopie (le 4 mars de cette année) est un jésuite colombien, Mgr Rodrigo Mejia Saldarriaga.
Pour Mgr Berhaneyesus, le principal défi pour l’Eglise concerne les sectes mais l’islam, et cela semble nouveau pour lui, devient visiblement un souci également. Des mosquées sont construites partout dans le pays, avec de l’argent saoudien, en général au bord des routes et même là où il n’y a pas de musulmans, l’idée étant d’occuper le terrain. Pour les sectes, elles sont très actives et ont des moyens financiers souvent colossaux, en général en provenance des Etats-Unis. Les gens sont attirés par l’ambiance chaleureuse et émotive de ces petits groupes. A l’Eglise catholique de réagir en dynamisant sa pastorale de proximité…
Vendredi 16 février
Départ à 6 h du matin pour Endibir, une ville à 150 km au sud d’Addis Abeba, siège d’un nouveau diocèse catholique, détaché de la capitale. Mgr Mussie Gebreghiorgis est capucin. Il parle italien et nous offre du panettone en guise de dessert. Ici, les relations avec les orthodoxes et les musulmans sont bonnes. Les catholiques rendent service grâce aux nombreuses écoles et cliniques. Nous visitons à Burat une église financée par l’AED. L’ancienne chapelle, une vielle case prête à s’écrouler, est restée juste à côté en témoignage. « Vous nous avez donné la vie », nous disent les catéchistes sur place en nous remerciant d’avoir soutenu ce projet. Nous passons la nuit chez les « Sœurs médicales », une congrégation dont le charisme est de soigner. Dans l’hôpital qu’elles tiennent, nous pouvons observer le travail remarquable qu’elles effectuent. Il n’y a pas d’autre hôpital dans les environs.
Samedi 17 février
Nous assistons à la bénédiction d’un nouveau couvent, tenu par une congrégation italienne, les Filles de la Miséricorde et de la Croix. La Mère générale est venue exprès de Sicile ! Les sœurs s’occuperont d’une école et d’une clinique.
Dimanche 18 février
Le pays est grand, nous prenons l’avion pour aller dans le nord. Atterrissage à Makale, chef-lieu du Tigré, puis route vers Adigrat, siège de l’évêque du diocèse. La route est belle. Au loin, le panorama ressemble au grand canyon du Colorado. La cathédrale est magnifique. Avec son clocher en forme de campanile, on se croirait presque à Venise. Mgr Tesfasellasie Medhin nous accueille pour dîner au Grand Séminaire qui jouxte l’évêché. C’est un évêque entreprenant dans une région où il y a beaucoup de catholiques. Son diocèse a trois fois la taille de la Suisse ! Sur les 32 paroisses du diocèse, 9 ne sont pas accessibles en voiture (c’est de la montagne) et les autres nécessitent des véhicules tout terrain… qui coûtent une fortune, à l’achat et à l’entretien. L’évêque n’a pas les moyens de donner une voiture pour chaque paroisse. Cinq vé-
hicules, avec une personne responsable pour
chacun, sont donc partagés : pour les 80 prêtres du diocèse, il suffit de s’inscrire…
Lundi 19 février
Visite du Séminaire. Il doit être agrandi, les travaux ont déjà commencé, mais le budget n’est pas bouclé. L’AED aidera. Nous prenons la route pour la frontière érythréenne. A Aiga, un village en hauteur, très près de la frontière, l’église a été bombardée pendant la guerre avec l’Erythrée entre 1998 et 2000. L’AED a financé la reconstruction. Dans la vallée, nous déjeunons à Aitena, dans le monastère où saint Justin de Jacobis, lazariste italien, s’est installé au XIXe siècle. En son temps où on latinisait assez facilement, il avait insisté pour conserver le rite éthiopien. Résultat : la plupart des orthodoxes sont devenus catholiques.
Dans la bibliothèque de l’école desservie par la paroisse, deux tiers des livres sont en français. Les missionnaires étaient à l’époque pour la plupart français…
La mésentente entre les deux pays est absurde. L’Erythrée a besoin de l’Ethiopie (ressources) et réciproquement (débouché maritime). Les gens sont apparentés et autrefois allaient faire leurs courses à Asmara (capitale de l’Erythrée) plutôt qu’à Adigrat ou à Makale (Ethiopie).
Sur la route d’Asmara justement, nous nous arrêtons à Selanbesa, ville frontière. Tout avait été détruit pendant la guerre et la ville se reconstruit lentement. L’église vient d’être à nouveau ouverte il y a six mois.
Mardi 20 février
Visite d’une église-rocher à Wukro. L’église a été excavée dans la roche et date sans doute du premier millénaire. L’Ethiopie est devenue un royaume chrétien dès le IVe siècle …
Rencontre de Filles de la charité qui s’occupent d’une clinique. En 20 ans, la situation sanitaire n’a pas beaucoup évolué, nous dit Sr Alganesh, mais l’action de l’Eglise est indispensable. « On a planté des racines pour l’avenir », nous confie-t-elle.
Mercredi 21 février
Après un retour en avion à Addis-Abeba, la route pour Meki, au sud de la capitale. Mgr Abreham Desta nous accompagne pour visiter un village où les habitants veulent devenir chrétiens ! Leurs ancêtres étaient sans doute orthodoxes, mais il n’y a pas eu de prêtres depuis des générations et ils ne savent rien. Mais ils ont approché l’Eglise et veulent que Dieu
vienne jusqu’à eux. Pour le moment, des leçons de catéchisme sont données sous un arbre, en attendant la construction d’une chapelle…
Pour les 25.000 catholiques de son vicariat, l’évêque peut compter sur 24 prêtres et 3
diacres qui seront bientôt ordonnés ainsi que sur 11 religieux (salésiens et Consolata). Il y a 10 paroisses et 80 chapelles isolées au fond de la brousse. 70 % de la population est musulmane. Le vicariat s’étire jusqu’à la frontière somalienne. La tâche est énorme. C’est mercredi des cendres, le carême commence.
Jeudi 22 février
Nous voici à Awassa, encore plus au sud. Mgr Lorenzo Ceresoli, religieux combonien italien, a déjà donné sa démission pour limite d’âge mais semble devoir tenir encore quelques années. Lorsqu’il est arrivé il y a 40 ans (il n’était pas évêque), il n’y avait pas de catholiques dans le vicariat qui s’étend jusqu’à la frontière kenyane. En 1994, ils étaient 80.000. Aujourd’hui, ils sont 170.000. Awassa à l’époque était un petit village de huttes, c’est devenu une ville de 200.000 habitants qui compte 13.000 catholiques. Le vicariat compte 12 prêtres diocésains et 32 missionnaires pour servir 21 paroisses et 497 chapelles de brousse. Il faut rajouter 62 religieuses, 10 séminaristes, 54 catéchistes à plein temps et 479 à temps partiel.
Les missionnaires vieillissent et ne se renouvellent pas autant qu’il le faudrait. Selon l’évêque, cela pose des problèmes car les vocations autochtones assurent assez bien la continuité mais ne développent pas la mission. Il déplore le manque d’initiatives tout en reconnaissant que le manque de moyens y est peut-être pour quelque chose.
L’évêque souhaite construire une grande
église car la ville se développe et il n’y a que quatre chapelles. L’AED a promis de l’aider.
Vendredi 23 février
Après la soirée en compagnie d’un frère « de la Salle » américain et de trois jésuites originaires du Canada, du Chili et de Malte (quelle est belle la catholicité de l’Eglise !), nous sommes de retour à Addis-Abeba, qui signifie « Nouvelle fleur ». Nous rencontrons la Conférence des supérieurs majeurs, qui regroupe tous les ordres religieux catholiques en Ethiopie. Le père Tesfaye Tadesse, combonien éthiopien, et Sr Mariolina, combonienne italienne, nous présentent la situation. Les vocations ont aujourd’hui tendance à baisser, mais on observe une meilleure maturité des postulants à la vie religieuse. L’accès à l’éducation a été développé et les jeunes peuvent plus facilement se former qu’auparavant. Le matérialisme et la sécularisation ont également fait leur apparition. Les nouvelles vocations font donc un choix sans doute plus difficile qu’autrefois.
Par ailleurs, l’Eglise en Ethiopie a apporté un modèle de vie religieuse, basé sur le service éducatif ou médical. L’Eglise catholique n’étant pas reconnue officiellement par l’Etat, les missionnaires étrangers ont toujours eu besoin d’un permis de travail qui était délivré dans le cadre du travail social effectué par l’Eglise dans ces domaines. Cela explique la faible activité pastorale des religieux et le départ d’un certain nombre de vocations, dès leur diplôme de professeur ou d’infirmier en poche. Plus de la moitié des religieux/religieuses en Ethiopie étant maintenant éthiopiens, il faut réfléchir à nouveau à ce qu’est une vocation religieuse. C’est le travail de la Conférence avec une formation continue très poussée qui commence à porter ses fruits. Cette formation est d’autant plus importante que le niveau général est assez bas au départ. A cela, il faut ajouter que la formation est donnée en anglais, qui n’est pas la langue maternelle, et avec des concepts philosophiques rationnels empruntés à l’Occident et souvent étrangers au mode de pensée afro-oriental.
Rencontre avec le nonce apostolique, Mgr Ramiro Moliner Inglés, qui souligne l’importance pour l’Eglise catholique d’entretenir de bonnes relations avec l’Eglise orthodoxe, majoritaire dans ce pays. En ce sens, une église leur a été affectée à Rome ainsi qu’une résidence pour loger l’évêque orthodoxe éthiopien pour toute l’Europe. Une aide discrète et symbolique est parfois apportée également sur place pour manifester cet œcuménisme tangible.
Le Nonce nous parle de Gambela, préfecture apostolique près de la frontière soudanaise. Il y a des tensions ethniques importantes dans cette région. La découverte de pétrole risque de les aggraver. Récemment, Mgr Inglés a rencontré le ministre de la Culture qui est musulman. Quand celui-ci a appris que le Nonce se rendait à Gambela, il lui a dit de construire une cathédrale plus grande, car seule l’Eglise selon lui pouvait aider les gens à vivre ensemble…
26.000 réfugiés soudanais, pour la plupart chrétiens, y habitent, parfois depuis près de 20 ans. Ils pourraient rentrer, mais ils y ont refait leur vie. Il faut également s’en occuper.
Samedi 24 février
Une dernière visite au métropolite, Mgr Berhaneyesus. Autour de l’évêché à Addis-Abeba, il y a un complexe scolaire catholique. Plus de 5.000 élèves, la plupart orthodoxes, y étudient chaque jour. Avec 250 écoles dans le pays, l’Eglise catholique vient en second, juste
après le gouvernement, en
termes d’offre éducative, mais avec un niveau en général largement supérieur. Avec la santé, l’éducation reste le moyen que l’Eglise catholique, minoritaire en Ethiopie, a trouvé pour exercer son apostolat et discrètement annoncer la Bonne Nouvelle. A nous de l’aider, par la prière et le partage, à remplir sa mission.
Marc FROMAGER