La liturgie nous donnera, une fois de plus, l’occasion de méditer, avec le procès de Jésus, la question de Pilate : “Qu’est-ce que la vérité ?” Saint Jean nous donne à penser que le représentant de Rome réagit en sceptique face à la solennelle affirmation de Jésus : “Je ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix” (Jn 18,30). La même affirmation de scepticisme traverse largement notre époque, ou du moins notre culture fondée sur le relativisme ontologique et éthique. Ce qui relève des choix fondamentaux risque de se dissoudre dans la doxa, l’opinion friable alors que la revendication des droits se fait dogmatique. Alain Finkielkraut, peut à juste titre dénoncer une société d’ayant-droits rendant problématique la notion même d’appartenance à une communauté historique solidaire dans un bien commun reconnu. Voilà qui nous propulse dans un curieux brouillard où la réalité dérive au gré de nos désirs et de nos fantasmes.
En même temps, il est vrai, cette culture impose contradictoirement une transparence absolue, se prévaut d’une conception intransigeante du Bien, (même s’il est dévoyé), prétend restaurer une Justice parfaite en nous libérant de toutes les discriminations possibles. Jean Baudrillard, qui vient de mourir, a été un étonnant analyste des simulacres de notre monde et il nous manquera – tout comme nous manque cruellement la souveraine ironie d’un Philippe Muray – pour percer les mensonges quotidiens et nous débrouiller de l’inflation de signes où nous nous perdons. Il y aurait trop à dire sur l’intuition de Baudrillard selon laquelle l’homme moderne (ou post-moderne) aurait quitté la réalité et que l’Histoire même ne serait plus réelle. De son côté, Muray parlait au travers du thème d’Homo festivus, de désincarnation, de perte dans un univers ludique dont le secret tenait à un néant profond.
L’affirmation souveraine de Jésus tranche avec le mensonge perpétuel et le mauvais rêve rendant possible toutes les transgressions et la négation du Mal. La Vérité à laquelle il rend témoignage est le contraire d’un faux idéal que ne cesse de fabriquer la négation tenace du péché originel, de nos imperfections natives et de nos natures blessées. La Vérité se fait entendre au secret des cœurs où le sens du bien est en danger perpétuel de s’altérer. Elle y retentit comme l’appel d’un salut qui seul pour nous guérir et rendre effective notre capacité à être fils de Dieu. Ajoutons que dans notre humble tache journalistique, cet appel retentit aussi singulièrement. Le témoignage de notre confrère Noël Copin peut nous aider à comprendre le message délivré par son successeur Bruno Frappat, dimanche dernier à Notre-Dame de Paris : “Faites de moi un artisan de la recherche de la vérité, ce qui est déjà la moitié du chemin vers la vérité”.