Ainsi, les évêques à Lourdes reviennent sur le grand sujet, celui qui les préoccupe à temps et à contretemps, c’est-à-dire l’annonce de l’Evangile aujourd’hui dans notre pays. A vrai dire, depuis vingt ans ils s’interrogent sur le décalage constaté entre les valeurs évangéliques dont on pouvait croire qu’elles constituaient l’héritage d’une culture si anciennement christianisée et la mentalité d’une société qui semble s’en éloigner de plus en plus. Certes, le constat ne date pas de 1980. C’est depuis beaucoup plus longtemps que l’on se demande si la France n’est pas devenue un pays de mission. Mais lorsque parut le célèbre petit livre des abbés Godin et Daniel, l’enracinement de l’Eglise demeurait extrêmement profond, avec une emprise institutionnelle considérable sur l’ensemble de la population. Certes, il y avait des zones urbaines et même rurales qui échappaient à l’attraction du christianisme, mais on les signalait en raison du contraste avec les régions remarquables de vitalité chrétienne. Ce qu’il faut constater aujourd’hui, c’est un affaiblissement considérable de l’encadrement institutionnel qui ne concerne pas seulement le clergé. La sécularisation est aussi venue de l’effacement de plus en plus accéléré des congrégations religieuses, notamment féminines, qui, dans les secteurs scolaires et hospitaliers, assuraient une pré-sence évangélique disparue aujourd’hui. On oublie cela un peu trop, en attribuant le phénomène de déchristianisation à une sorte d’évolution propre à la société moderne, comme si les chrétiens n’étaient pas aussi responsables de l’affaissement de leur propre Eglise. Il peut arriver à certaines périodes que l’Eglise lâche prise, se laisse aller et abandonne le terrain à la repaganisation sociale.
Au moment de la venue de Jean-Paul II à Lyon en 1987, le cardinal Decourtray, rappe-lant les liens prestigieux de sa ville avec les origines chrétiennes, reprenait l’injonction de l’Apocalypse à la ville d’Ephèse : « J’ai contre toi que tu as perdu ton amour d’an-tan. Allons ! Rappelle-toi d’où tu es tombée, repens-toi, reprends ta conduite première ». Et d’utiliser les formules mêmes de l’apôtre pour réveiller l’Eglise de saint Irénée : souviens- toi de ta ferveur première ! Il est arrivé au cours de l’histoire que les plus brillantes communautés chrétiennes aient perdu leur ferveur, laissant en friche tout un humus qu’il appartiendrait à d’autres générations de réensemencer. Nos évêques ne se font aucune illusion. Ces dernières années, le mouve-ment de régression s’est poursuivi, affaiblissant un peu partout les communau-tés locales, en dépit des mouvements nouveaux qui ont repris la tâche apostolique.
Mgr Louis-Marie Billé remarque : « Les évêques de l’ensemble de l’Eglise ont souvent l’impression que ce qui reste de l’humus chrétien où poser les pieds pour annoncer l’Evangile tend à s’effriter de jour en jour ». Faute de vitalité du tissu chré-tien social, comment s’en étonner ? Mais, par ailleurs, des énergies se lèvent pour la nouvelle évangélisation. Sont-elles toujours accueillies et encouragées comme il le fau-drait ? S’est-on résolu, ici ou là, à rompre avec les idéologies qui ont contribué à faire grandir le désert de ces dernières dé-cennies ? En tout état de cause, c’est la mission qu’il faut reprendre sérieusement, en retrouvant, de nos pères dans la foi, la fer-veur première.
Gérard LECLERC