Comment ne pas convenir de la difficulté présente de la tâche des chrétiens dans l’arène politique ? Tous les débats qui ont lieu en ce moment en Europe, et qui mettent en cause le respect de la vie humaine, placent tous ceux qui ne se satisfont pas du relativisme éthique dans une tension parfois insoutenable. Il arrive même que certains soient découragés au point de s’éloigner des responsabilités de la cité. C’est qu’à se battre sans cesse au nom des interdits intransgressibles, on ne perçoit plus les possibilités de trouver un espace, même pour défendre le moindre mal. Benoît XVI ne vient-il pas, une fois de plus, de rappeler que les catholiques doivent se former “une conscience vraie et droite, sans trahison et sans compromis”. Est-ce seulement possible dans une société qui repose sur l’agnosticisme religieux, philosophique et moral ?
En inaugurant la série des conférences de carême à Notre-Dame de Paris, Pierre Manent a su magistralement formuler les termes de l’interrogation qui se pose de façon lancinante à l’âge moderne. L’ordre libéral et démocratique, a-t-il expliqué, “est abondant en bienfaits de toutes sortes, et il mérite pour cela d’être aimé et défendu. Il n’a au fond qu’un seul défaut : il tend à être indifférent à la vérité. Non par accident, ou par une faiblesse inséparable de tout ordre humain, mais par sa loi de construction même. Il abandonne à la science le soin de rejoindre la vérité dans un avenir indéfini […] et pour le reste, il se satisfait d’appeler valeurs ses préjugés les moins examinés. Qui s’inquiète de la vérité lui paraît inquiétant. Qui se soucie d’elle lui paraît intolérant”.
Il est presque impossible de se sortir d’une pareille contradiction car vouloir revenir à une conception axiale de la vérité, c’est porter atteinte au relativisme métaphysique et moral sur lequel la modernité s’est construite. Autant renoncer alors aux acquis du désenchantement de la vérité et à ces “énormes marchines de bonheur et de plaisir” en quoi consiste, selon Jean-Jacques Rousseau, la grande sortie de l’ordre ancien. Mais Pierre Manent ne se résigne pas à l’abandon de ce qui fait la dignité humaine, c’est-à-dire cette recherche inconditionnelle du Vrai sans lequel le lien social se délite et l’appel du Prochain s’estompe. La vérité auquel adhère le croyant n’est pas pour autant accès à une quiétude satisfaite. Elle provoque sans cesse à mieux comprendre ce qu’il en est du mystère de Dieu et de l’homme, ainsi que des réquisitions de la dignité de l’être créé. La vérité est un combat, et la charité qui ne cesse d’éveiller les cœurs réclame elle-même l’intention continuelle du service du bien commun.
Gérard LECLERC
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- Jean-Paul Hyvernat