Il a pris tout le monde de court. Ses proches lui avaient dit de ne pas prononcer le mot. La déclaration n’était pas prévue dans son discours officiel. Son entourage explique en privé que c’est la mort d’une personne chère à un membre de son équipe rapprochée qui a provoqué l’intervention remarquée de Nicolas Sarkozy, dimanche 11 février, à la Mutualité : « Les principes, je les respecte, les convictions, je les respecte. Mais je me dis quand même, au fond de moi, il y a des limites à la souffrance qu’on impose à un être humain ». Faut-il voir là les propos de Café du Commerce d’un homme désorienté par une situation particulière ou les mots mûrement réfléchis d’un « ballon d’essai » testant un éventuel revirement en faveur de l’euthanasie légale du candidat UMP à l’élection présidentielle ?
La loi fin de vie, « consensuelle », a instauré en 2005 une « troisième voie française », selon la formule du ministre de la Santé de l’époque, Philippe Douste-Blazy, récusant à la fois acharnement thérapeutique et euthanasie. Quoique stupéfait par la déclaration de Nicolas Sarkozy, son rapporteur, le député Jean Léonetti, a choisi de s’en féliciter publiquement. Dans un communiqué publié le lendemain de la déclaration il estime « plus que jamais essentiel que les moyens nécessaires à l’application de [sa] loi
puissent rapidement être mis en place ».
Nicolas Sarkozy méconnaît vraisemblablement la teneur de ce texte ; du moins semble-t-il partager la confusion de l’opinion publique, entretenue par le lobby de l’euthanasie, qui veut faire croire que la seule façon d’échapper à la souffrance est la piqûre létale.
Fidèle à son discours d’investiture, le ministre de l’Intérieur se montre capable, dans la même phrase, d’encenser les religions et de récuser leur influence. « Sur ces questions de la vie et de la mort, j’ai souvent dit le respect que j’avais pour les grandes religions de France, mais je veux simplement qu’on aborde ces questions en partant moins des principes et plus de la souffrance », a-t-il affirmé à la Mutualité après avoir revendiqué l’intervention de la politique sur la vie, y compris sur « des questions difficiles où tant de mes amis me disent : ‘sois prudent’ « .
Un aveu d’imprudence, somme toute, mais également un signe de faiblesse significatif de la dérive populiste. Les candidats sont prompts à épouser les émotions collectives : « On ne peut pas rester les bras ballants devant la souffrance d’un de nos compatriotes qui appelle à ce que ça se termine, tout simplement parce ce qu’il n’en peut plus », a insisté le candidat UMP. De quoi désoler ceux qui s’étaient battus pour éviter le pire après l’affaire Humbert.
Dans les rangs du parti majoritaire, où les tenants du statu quo sont nombreux, la déclaration du candidat a provoqué le doute. Les praticiens des soins palliatifs ou l’Académie de médecine peuvent aussi s’inquiéter, quelques mois après avoir découvert que l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) était officiellement agréée pour représenter les usagers de l’hôpital. Comment accepter qu’une personnalité de l’envergure de Nicolas Sarkozy puisse laisser croire que la loi actuelle abandonne les patients à la souffrance, après tout le travail d’explication réalisé par la mission Leo-
netti ?
C’est en substance la teneur d’un e-mail que Marie de Hennezel, chargée de mission auprès de Xavier Bertrand, ministre de la Santé, et spécialiste incontestée des soins palliatifs, a envoyé à Nicolas Sarkozy le 14 février. « Votre déclaration de dimanche dernier nous a fait faire un bond de plusieurs mois en arrière », lui reproche-t-elle, en demandant que deux mesures qu’elle préconise soient mises en œuvre : « rendre obligatoire la formation aux soins palliatifs » et « financer le congé d’accompagnement prévu dans la loi du 9 juin 1999 », avant de conclure : « aucun ministre n’a jusqu’à maintenant eu le courage de les prendre ».
L’inquiétude du milieu des soins palliatifs est d’autant plus légitime que deux événements médiatiques vont prochainement intensifier la pression euthanasique : la diffusion prochaine, sur TF1, d’un téléfilm, sur l’affaire Humbert, sorte de docu-fiction à sens unique, déjà primé au festival international du film de télévision de Luchon, et surtout le procès de Saint-Astier. Sa programmation, du 12 au 16 mars, risque fort de fragiliser un Nicolas Sarkozy déjà entamé : l’ADMD pense tenir là son procès de Bobigny, l’affaire qui, en 1972, accéléra la légalisation de l’avortement. Le scénario est en effet « idéal » : le médecin et l’infirmière impliqués sont soutenus par la famille de la patiente euthanasiée ; Marie Humbert est annoncée en « guest star » ; les journalistes se bousculent pour obtenir une accréditation.
Face à un tel déferlement, les médecins, encore majoritairement favorables au respect de la vie finissante, auront-ils les moyens de faire entendre leur voix ?
L’Eglise pourra-t-elle faire comprendre au candidat UMP qui la courtise qu’elle n’attend pas des politiques d’être flattée – même si la résistance de Nicolas Sarkozy à l’anticléricalisme plaît aux chrétiens – mais d’agir pour la justice ? Or, la justice commence par le respect de la dignité et de la vie humaines.
Tugdual DERVILLE