3051-Bioéthique : fuite en avant - France Catholique
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La justice de Dieu
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3051-Bioéthique : fuite en avant

C’est sur de nombreux soupirs de soulagement que les lampions du Téléthon se sont éteints : record battu ! Mais que retiendra-t-on de cette vingtième édition ?
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Dominique Quinio, directrice de la rédaction de La Croix avait averti : «Si la générosité devait cette année baisser, les catholiques auraient honte. Nous aurions honte». Avec plus de 101 millions d’euros promis, un nouveau record est battu, de justesse. Et comme chaque année, le montant final des dons devrait excéder cette somme.

Si l’on regarde l’Eglise comme une institution humaine soucieuse de son image, ce résultat est sans doute le meilleur possible. Un effondrement des dons l’aurait fait passer pour une méchante sorcière détruisant la magie d’une fête irremplaçable. Si les dons avaient explosé, on aurait moqué la vilaine marâtre, punie à la fin du conte de fée.

Sans doute l’inertie de la préparation du Téléthon et le secours de l’Etat garantissaient son succès. Ses organisateurs ont cependant manifesté de l’inquiétude à mesure qu’enflait la polémique. Même s’il n’y eut aucun appel au boycott, on n’a jamais autant suivi le compteur, pendant les 30 heures de direct, les euros défilant comme des promesses de bonheur retrouvé. L’événement cristallise bien d’autres critiques que celles exprimées par l’Eglise, à commencer par celle d’être incontestable. Or, certains ont l’impression que des chercheurs, adeptes des dérives scientistes, utilisent les personnes malades ou handicapées comme des boucliers humains, pour se protéger des critiques. Des experts en éthique comme le professeur Emmanuel Hirsch (Le Figaro, 8 déc.) reconnaissent à l’Eglise le mérite d’avoir rouvert le débat contre «l’unanimisme complaisant». N’aurait-on pas le droit de pointer les risques de désillusion tant pour les personnes souffrantes que pour celles qui donnent généreusement ? Mais le cocktail show médiatique, mobilisation d’une foule de bénévoles dévoués, aide vitale aux personnes, recherche salutaire… et dérives éthiques noie le dernier poisson.

C’est la première fois que le discours intangible de l’Eglise catholique – opposée à la sélection embryonnaire et à l’expérimentation sur l’embryon humain – fait tant de bruit. Aura-t-elle jamais été accusée avec autant de véhémence d’être intrusive, moralisatrice, inhumaine ?

Les journalistes suivant sa communication auront achevé d’être désarçonnés : son souci de concilier vérité et charité leur donne l’impression d’un pas de deux hésitant. Ses messages successifs leur ont paru contradictoires. Donner tout de même ? Ne plus donner ? Donner plus ? Ne sachant pas à quel saint se vouer, les chrétiens ont assisté à une avalanche de petites phrases difficiles à décrypter pour qui voulait déceler une ligne générale. On aura par ailleurs mesuré la fracture qui sépare l’esprit du monde de l’Evangile de la vie, et la difficulté de se positionner dans ce contexte. Comment ne pas jeter le bébé de la générosité avec l’eau du bain des dérives éthiques ? Mais la France du Téléthon, qui adresse de si beaux messages aux personnes handicapées, détient tout de même le record du monde de l’eugénisme anténatal. Si des affections comme le spinabifida ou la myopathie de Duchenne sont en passe d’y disparaître, c’est, non pas du fait des thérapies, mais «grâce aux progrès du dépistage» selon la formule pudique. Cette contradiction légitime la prise de paroles de l’Eglise. La marraine officielle du Téléthon pour la région Rhône-Alpes, Raphaëlle Monod-Sjöström, ancienne championne du monde de ski acrobatique, a même osé révéler son malaise en direct, lors du «19-20» de France 3 Grenoble, vendredi 8 décembre. On venait de diffuser un reportage vantant les mérites du diagnostic préimplantatoire : «Il y a un paradoxe : je me dis qu’avec cette technique, je n’aurais peut-être pas eu la joie de connaître Fabrice, mon filleul du Téléthon d’aujourd’hui».

Le Téléthon 2006 soulève donc quelques interrogations pour la suite de l’événement : Il ne sera peut-être pas aussi facile de conserver le consensus pour l’édition 2007. Que donneront les conversations engagées – jusqu’ici dans la plus grande discrétion – entre des autorités de l’Eglise et les dirigeants de l’AFM ? Ces derniers ont officiellement écarté toute idée de fléchage des dons, mais le sondage IFOP commandité par le Comité pour Sauver l’Ethique du Téléthon donne plutôt raison à l’Eglise : 54% des Français jugent que l’«AFM devrait garantir aux donateurs qui le désirent que leurs dons ne seront pas utilisés pour la recherche sur l’embryon». Personnalité myopathe, Jean-Christophe Parisot demandera à l’AFM de prendre en compte ce droit à l’objection de conscience. Acceptera-t-elle l’idée que des pratiques qu’elle finance sont moralement contestables aux yeux de certains ?

D’autres personnes malades commencent à dire leur trouble. «Si nous éliminons des êtres atteints de pathologies génétiques au départ de leur conception, c’est un choix de société très grave» estime Annie Alary, atteinte de myopathie. Ce cadre de santé, qui vit en fauteuil roulant, et «remercie le Téléthon» pour les aides diagnostiques et techniques dont elle a bénéficié de s’interroger : «Est-ce que moi, aujourd’hui, je serais en vie avec cette logique ? Probablement pas ».

Du côté des parlementaires, c’est bien la fuite en avant qu’on constate. A la veille du Téléthon, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a rendu publiques ses nouvelles préconisations. Il suggère de libéraliser l’expérimentation sur l’embryon, autorisée en 2004 à titre provisoire et sur les seuls embryons «surnuméraires», et préconise la légalisation du clonage. Pour mieux le faire accepter, le député Alain Claeys voudrait le renommer «transposition nucléaire». Son rapport propose enfin d’organiser une filière de dons d’ovocytes pour la recherche, afin de répondre aux besoins de ce clonage. Quand verra-t-on la résistance féministe épauler celle de l’Eglise ?

Tugdual DERVILLE