l faudra du temps pour mesurer les effets du voyage de Benoît XVI en Turquie. Comme souvent, les médias sont tentés de passer d’un excès à l’autre. Après avoir suscité et relayé une vaste campagne qui faisait du pape l’ennemi de l’islam, les voilà nous expliquant que Benoît XVI se serait converti à cette rencontre des religions à l’égard de laquelle le cardinal Joseph Ratzinger ne manifestait que réticences et désaveu… Il aura suffi d’un geste de recueillement dans la Mosquée bleue d’Istanbul pour que leur nouvelle opinion soit faite, défaisant la précédente avec une légèreté qui confond. Le légitime agacement que l’on éprouve face à tant de versatilité ne doit pas nous détourner d’une réflexion sérieuse sur le dialogue des cultures et des religions et le rôle que peut jouer l’Eglise dans un domaine si sensible.
On sait que c’est le concile Vatican II qui, de façon prémonitoire – n’annonçait-il pas le phénomène de la mondialisation ? – a mis l’accent sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes, dans le but de “promouvoir l’unité et la charité entre les hommes et même entre les peuples” (préambule de la déclaration Nostra Aetate). Depuis lors, le dialogue interreligieux a pris son élan en dépit de nombreux obstacles dont le premier est l’expression d’un fondamentalisme belliqueux, dénoncé comme la plus grande menace pour le présent et l’avenir. Devant ce qu’Elie Barnavi appelle “les religions meurtrières”, il est tentant d’en appeler à un laïcisme éradicateur, récusant tout génie religieux possible comme ferment des civilisations. Dans son essai intitulé Aveuglantes Lumières (Gallimard), Régis Debray met en garde contre une mentalité héritée de Voltaire qui rend uniformément hostile à l’infâme et “préserve de toute sympathie, intérêt ou simple curiosité pour autrui”.
Il est aussi facile de répandre l’idée que seule une laïcité rigoureuse est capable de nous défendre contre la menace meurtrière. Certes, la laïcité à la française a ses mérites (reconnus par Benoît XVI) dans la mesure où elle crée les conditions de la liberté de
conscience et du libre exercice des cultes, mais elle est potentiellement dangereuse lorsqu’elle chasse le religieux de l’espace public et prétend intervenir dans des domaines où elle n’a nulle compétence. La neutralité religieuse de l’Etat est une nécessité mais elle ne suffit pas à garantir la paix civile et la concorde des esprits et des cœurs. C’est pourquoi l’Eglise se montre si soucieuse d’entretenir de bonnes relations avec les autres religions. Benoît XVI a montré, en Turquie, comment il était possible de se mieux respecter dans la fidélité intégrale à la foi dont il est le témoin irrécusable.
Gérard LECLERC