Le lobby de l'euthanasie à l'hôpital - France Catholique
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Le lobby de l’euthanasie à l’hôpital

Les membres d’une association militant pour l’euthanasie viennent d’être officiellement habilités à représenter les usagers dans les hôpitaux. Comment en est-on arrivé là ?
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Le 26 novembre 2004, Maryvonne Briot, députée UMP, disait à propos de la loi Leonetti sur la fin de vie alors en discussion : « Pour moi, cette loi est une finalité, non un début. Je n’irai pas plus loin ». Sa position rejoignait celle du ministre de la Santé de l’époque, Philippe Douste-Blazy : une « troisième voie », française, consacrée par la loi du 22 avril 2005, récusait à la fois acharnement thérapeutique et euthanasie. Deux ans plus tard, Maryvonne Briot est membre de la commission nationale chargée d’agréer les associations qui représenteront les usagers dans les hôpitaux, en application de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Cette commission a rendu son premier avis au début de l’été. L’actuel ministre de la Santé, Xavier Bertrand, l’a transformé le 11 août dernier en arrêté. Les lecteurs du Journal Officiel du 24 août ont donc pu découvrir les premières associations agréées. Elles sont quatorze (voir page 8). Parmi elles figure l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), la structure la plus emblématique du lobby de l’euthanasie.

Le président de la “Commission nationale d’agrément des associations représentant les usagers dans les instances hospitalières ou de santé publique », mise en place en février 2006, est le Conseiller d’Etat Pierre Zémor. Spécialiste de la « communication publique », il a présidé la Commission nationale des débats publics et animé les délicates consultations autour de la création d’un troisième aéroport francilien. Sa nouvelle mission tend à encourager ce qu’il nomme la « démocratie sanitaire » : n’est-il pas primordial – voire vital – que les patients participent au travail de ceux qui les soignent ? Pierre Zémor estime que le domaine de la santé est un « bon terrain pour l’implication des usagers » – « il y a déjà dans les Conseils d’administration dix mille postes de représentants des usagers en France ». Il explique que « la loi a voulu une concertation avec les associations les plus sérieuses et les agréer avec une Commission ». Et de préciser les quatre critères à respecter. L’association doit justifier : 1/ d’une activité effective et publique dans le domaine de la défense des droits des malades et usagers du système de santé, 2/ de l’organisation d’actions de formation et d’information, 3/ d’un niveau de représentativité nationale et régionale, 4/ de son indépendance et d’une transparence de gestion. Le Conseiller d’Etat dit son admiration pour « ces associations généreuses », citant celles qui se battent contre les maladies rares, ou regroupent les victimes du fléau que constituent les infections nosocomiales. Leurs résultats sont prometteurs du fait d’une forte capacité de mobilisation.

Pour Pierre Zémor, beaucoup d’agréments se font « tout naturellement » d’autant que ces associations sont déjà présentes dans nombre d’instances hospitalières, la loi en cours d’application ne faisant qu’encadrer cette participation.

Un optimisme que tempère le député UMP Yves Boisseau, membre suppléant de la Commission d’agrément. Participant à ses réunions bimensuelles lorsque son homologue Maryvonne Briot est indisponible, il se montre dubitatif sur « la lourdeur du processus » et relève surtout « le problème des critères ».

Comment s’assurer de la légitimité des associations qui revendiquent le droit de représenter les usagers ? Ont été écartées, d’un côté, les Fédérations de consommateurs, comme l’UFC Que Choisir ? trop peu spécifiques, et, de l’autre, de nombreuses associations de petite taille qui participent pourtant à l’animation des structures hospitalières. Yves Boisseau évoque une structure « arrivée avec un tract qui était manifestement une diatribe ». D’accord avec le représentant du Sénat à la Commission, il a suggéré de la récuser, mais s’interroge aujourd’hui sur la suite de ce premier refus : « Je me demande si la même association n’est pas revenue ensuite avec un dossier plus acceptable ».

Pierre Zémor explique pourquoi les associations qui s’occupent simplement du bien-être des patients (loisirs, culture, divertissement) ne sont pas invitées aux Conseils d’Administration. Il cite les associations proposant des spectacles de clowns : « Ce n’est pas tout à fait la défense des droits ». De même, il affirme que sont exclues celles qui se limitent « à la revendication, au prosélytisme ou à la propagande ». Seules celles susceptibles d’entrer dans une perspective de coopération pour améliorer la situation des usagers, sans prétendre s’ériger en organes de contrôle, seraient sélectionnées.

A entendre les membres de la Commission, l’agrément de l’ADMD a été traité avec vigilance, mais n’a pas posé de problème particulier. Yves Boisseau reconnaît s’être posé la question du « sens de son implication auprès des personnes malades ». Pierre Zémor explique : « On ne voulait pas agréer des associations qui se contenteraient de défendre une cause, en ce cas la promotion de l’euthanasie. Dans les actions de l’ADMD, il y a toute une activité d’accompagnement des malades et de défense de leurs droits dans le respect de la loi. Par ailleurs, ils se battent pour changer la loi. » Et de préciser : « Nous avons vraiment regardé les dossiers et nous avons vu qu’ils jouaient le jeu dans les établissements où ils se trouvent déjà : nous avons donc agréé leur activité de défense des malades en fin de vie ». Effectivement, les militants de l’ADMD sont déjà présents dans nombre d’instances hospitalières au titre de représentants des usagers. Une présence confirmée par des Arrêtés préfectoraux qui les ont désignés ès qualités. Ainsi, le 22 décembre 2005, le directeur de l’Agence régionale de l’hospitalisation de Rhône-Alpes nommait comme seuls représentants des usagers du Centre de l’hospitalisation privée de la Loire, à Saint-Etienne, un titulaire et un suppléant issus de l’ADMD, deux autres postes demeurant à pourvoir. Le 14 avril dernier un autre arrêté, désigne deux membres de l’ADMD sur les quatre représentants des usagers de l’hôpital local de Pélussin. Joint par téléphone, son directeur est évasif : « On m’a donné des noms… Je ne me suis pas trop inquiété de l’Association… Je n’ai pas d’a priori sur les candidats. » Mais il confirme avoir « désigné des gens » et précise qu’un troisième membre de l’ADMD siège à son Conseil d’administration.

L’agrément de l’ADMD surprend Monique Lecoufle, cadre supérieure de santé, aujourd’hui consultante santé, après avoir été directeur de soins. Evoquant ses années de pratique infirmière dans les secteurs des maladies infectieuses – « quand tous les patients atteints de sida mouraient  » – de cancérologie, de longs séjours et de soins palliatifs, elle considère que « les promoteurs de l’euthanasie légale n’ont rien à faire à l’intérieur de l’hôpital ». « Nous sommes là pour accompagner la vie et, en tant que professionnels, nous ne voulons pas être instrumentalisés ». Et d’évoquer le souvenir d’une femme en long séjour inscrite à l’ADMD : « Le sachant, les enfants nous ont suggéré qu’on ‘fasse ce qu’il faut’ lorsque leur mère le demanderait alors que, s’affaiblissant, leur mère s’accrochait à la vie. Elle est partie naturellement » […] « Toute personne malade connaît des étapes dépressives, même un enfant, et si la logique de mort entre dans l’hôpital, on arrivera vite à la situation hollandaise qui permet d’euthanasier des enfants de douze ans ». La spécialiste de la qualité des soins considère qu’elle « ne peut pas être à la fois celle qui accompagne la vie et celle qui donne la mort ». Et de pointer le risque que des professionnels de santé « après avoir transgressé l’interdit du meurtre, un des fondamentaux de l’humanité, basculent psychiquement ». Elle prévient : « Notre métier est déjà difficile, et il est essentiel pour les patients que nous soyons sereins pour apaiser leurs propres angoisses. Si l’on se met à déraper, ne serait-ce qu’au nom d’une ‘exception’, le risque est grand pour les soignants de devenir inhumains. » On pense à l’affaire Malèvre, cette infirmière condamnée en octobre 2003 à douze ans de réclusion criminelle par la Cour d’assises de Paris, pour avoir assassiné six patients. A l’époque, l’ADMD, qui avait financé une partie de ses frais de justice, avait fait part de son « étonnement » et de son « émotion » après ce verdict. Pendant longtemps, l’infirmière de Mantes-la-Jolie avait été promue comme la victime emblématique d’une société refusant l’euthanasie légale. L’enquête a finalement révélé que son profil se révélait plus proche de celui d’une tueuse en série. Plus récemment, les dessous de l’affaire Humbert ont montré les risques de l’irruption des militants dans l’hôpital. Encore traumatisé par la mise en scène de la mort de son ami Vincent, Hervé Messager, son kinésithérapeute pendant deux ans, suspecte une manipulation de Marie Humbert par des associations : « elle a brusquement changé de discours un an avant la mort de Vincent et, à partir de ce moment, elle a refusé toutes les aides que nous proposions. »

Les systèmes organisés de participation des citoyens visent à renforcer et pacifier leurs relations avec les services publics. Encore faut-il que ces instances ne soient ni complices du pouvoir en place (jusqu’à en devenir des relais technocratiques) ni monopolisées par des groupes non représentatifs, mus par leur idéologie.

Pour le professeur Olivier Jonquet, chef du service de réanimation médicale du CHU de Montpellier, le système de représentation des usagers peut refléter « une ambiguïté » : « Il ne s’agit pas de mettre en cause la qualité des gens qui s’y engagent mais de se poser la question de leurs motivations : s’agit-il de la promotion de la qualité des soins et de la participation tout à fait légitime des usagers à la vie d’une institution hospitalière qui les soigne ou d’entrer dans une visée revendicative ? » Président de la Délégation qualité de son hôpital, le professeur Jonquet se « félicite de la qualité des relations avec les usagers qui participent à la vie de l’hôpital, sont membres de plusieurs instances et ont une vision tout à fait constructive des relations entre soignants et soignés. » Mais il se dit « choqué qu’il y ait, dans un groupe d’associations agréées par l’Etat, une qui promeut ouvertement l’euthanasie sous le voile de ‘mourir dans la dignité’ ». A ses yeux, « cela ne peut que remettre en cause tout le travail qui est fait depuis plusieurs années par les équipes de soins palliatifs ».

Lorsqu’on lui demande ce qu’il craint de l’ADMD à l’hôpital, Olivier Jonquet se garde de tout pronostic : « Je ne veux pas préjuger de l’avenir. Simplement, il y a un fait : on connaît les buts de l’association ». Pour le médecin réanimateur, cet agrément confirme deux inquiétudes à propos de certaines conséquences de la loi fin de vie : « d’une part que les directives anticipées soient l’antichambre du prétendu ‘testament de vie’, et d’autre part qu’on ait déjà ouvert la porte à l’euthanasie en considérant l’alimentation comme un traitement qu’on peut arrêter, et non pas comme un soin toujours dû. »

De nombreux députés, qui ont enduré le harcèlement de l’ADMD, peuvent facilement imaginer la crainte de certains professionnels de santé si l’association se met à agir à l’intérieur même du dispositif hospitalier, se faisant le « porte-parole » des usagers, et exploitant les situations les plus dramatiques.

Responsable de l’équipe mobile d’accompagnement et de soins palliatifs de l’hôpital Foch à Suresnes, le docteur Chantal Habert s’étonne de découvrir cet arrêté à l’occasion de notre enquête. Plus que la présence de l’ADMD dans la liste, c’est l’absence de tout mouvement de promotion des soins palliatifs qui la surprend. « Si elle a pu avoir l’agrément, c’est qu’elle s’est organisée. Il y a peut-être un défaut d’information ou bien un manque de réactivité des structures capables d’apporter un autre point de vue. »

En réalité, cela fait longtemps que l’ADMD revendique la paternité des progrès effectués en France dans le domaine de la lutte contre la douleur et des soins palliatifs. Pour Xavier Mirabel, cancérologue et président de l’Alliance pour les Droits de la Vie, « cette attitude est caractéristique de ce groupe d’influence : alors qu’il n’a en rien pris part aux mouvements des soins palliatifs, dont il est à mes yeux le dangereux contraire, il tente une OPA inamicale sur ce mouvement. Il suffit de consulter les pages internet de l’ADMD : à l’en croire, l’association serait experte en aide aux personnes en fin de vie. »

Si le mouvement des soins palliatifs « a du mal à se défendre », pense le docteur Mirabel, c’est qu’il est « davantage dans la culture de l’écoute que dans celle de la confrontation ». La façade légale de l’ADMD fonctionnerait donc comme un « cheval de Troie » dans l’enceinte de l’hôpital. Mais à qui la faute ?
Secrétaire générale adjointe de l’association, Claude Hury manifeste de la prudence quand on lui demande « Pourquoi adhérer à votre association sachant que je n’aurai pas le choix de ma fin de vie dans l’état actuel de la législation ? » Sa réponse : « L’adhésion à l’association, les documents qui sont proposés, l’aide du délégué départemental, la référence à des médecins conseillers permettent une prise en compte par le corps médical de la réflexion de l’adhérent par rapport à sa fin de vie. » Une forme de coaching de personnes souvent fragilisées par le grand âge qui n’est pas sans inquiéter le docteur Mirabel : « Quand je la vois s’installer au cœur de l’hôpital pour prétendre nous y représenter en tant qu’usagers, je me demande si l’ADMD n’a pas anticipé une légalisation de l’euthanasie à la faveur des prochaines élections pour s’imposer immédiatement comme partenaire des pouvoirs publics lorsqu’il faudra mettre en œuvre la nouvelle loi. Et ce serait, comme en Hollande, le déclin des soins palliatifs. »

Une analyse que n’est pas loin de partager le professeur Jonquet : « Je ne suis pas certain que les patients soient conscients du risque, à part quelques esprits un peu informés, mais il ne faut pas se leurrer… » Se souvenant des prédictions de Jacques Attali annonçant une inéluctable société de l’euthanasie dictée par l’économie, Xavier Mirabel met en garde : « A une heure où l’hôpital est toujours plus soumis à des contraintes budgétaires, mettre dans son conseil d’administration des personnes qui pensent que la vie en situation de fragilité ou de dépendance ne mérite pas d’être vécue entraîne l’hôpital dans l’engrenage d’économies injustes aux dépends des soins palliatifs ».

Certains propos des militants de l’euthanasie légale ont marqué le président de l’Alliance pour les Droits de la Vie : « J’ai lu le sénateur Cavaillet [NDLR : fondateur de l’ADMD et membre du Comité Consultatif National d’Ethique] revendiquant le droit à l’euthanasie pour des personnes atteintes de cécité à la suite d’un accident de voiture ! » Une outrance qui manifeste le risque de voir notre société se fixer sur « une conception de la dignité humaine excluant les plus faibles ».

Comme coordinateur du site internet sosfindevie.org, il signale « de nombreux témoignages de soignants qui sont perdus avec les repères éthiques, qui sont dans l’hésitation, surtout avec la question de l’alimentation en fin de vie » et pense que « l’irruption de l’ADMD va gravement ajouter à leur confusion ». Xavier Mirabel a déposé au nom de l’Alliance pour les Droits de la Vie un recours en annulation contre l’arrêté ministériel. Il souhaite que le gouvernement recule mais aussi que « les usagers demandent aux hôpitaux où ils seront soignés que s’exerce un certain discernement dans le choix des administrateurs ». Avocat de l’Alliance pour les Droits de la Vie, Maitre Antoine Beauquier dit espérer que « la juridiction administrative sera diligente compte tenu de la gravité de cette intrusion de l’ADMD dans le monde hospitalier. » Même si les préconisations de la Commission se doivent d’être suivies par le ministre (on parle de ‘décision conforme’), il estime que « le pouvoir politique peut d’ores et déjà procéder à l’abrogation d’un arrêté illégal. » Une illégalité sur la forme (« non respect des obligations de motivation inhérentes aux actes administratifs »), comme sur le fond (« détournement de l’objet de la loi qui vise à ouvrir les portes de l’hôpital aux associations chargées de défendre les malades et de les soutenir à une période difficile de leur vie, ce lieu de soutien et de dialogue ne pouvant pas être un outil mis entre les mains des promoteurs de l’euthanasie »).

On peut se demander si l’affaire ne révèle pas surtout l’habileté du lobby de l’euthanasie légale, capable d’apparaître aux yeux d’une commission d’agrément comme légitime. Ses militants sont formés, alertés sur l’évolution de la législation, présents sur le terrain. Peut-on leur reprocher de prendre place sur le lieu où ils entendent que soit mise en œuvre leur revendication ? La responsable de la Commission des relations avec les usagers et de la qualité des prises en charge (CRUQ) d’un grand hôpital francilien note qu’ »on a tendance à prendre les associations qui veulent bien travailler ». De son côté, Pierre Zémor précise que le processus d’agrément est loin d’être achevé. D’une part, il reste une fenêtre d’opportunité pour les associations non agréées désirant être représentées à l’hôpital : « La loi a prévu une période transitoire. Le 24 février, on ne pourra plus désigner de représentants d’usagers qui ne soient pas agréés mais on a tout le loisir d’ici là ». D’autre part, il ne tient qu’aux associations voulant représenter les usagers dans un autre sens de présenter leur dossier à la Commission nationale d’agrément. Après le 24 février, il sera trop tard. Pour cinq ans.

Article paru dans France Catholique n°3044 du 27 octobre 2006.