Le message de Benoît XVI à Valence a été particulièrement clair, et justement salué pour son caractère positif. L’amour est plus fort que tout et il y a dans le mariage chrétien une puissance toujours renouvelée qui donne joie, équilibre et permet aux sociétés d’échapper au déclin. Y a-t-il un décalage, comme on l’affirme un peu partout, entre cet optimisme (fondé sur la grâce) et les inquiétudes exprimées notamment par l’épiscopat espagnol sur les dérives morales d’une société qu’accélèrent les lois transgressives et des mesures qui visent à la déchristianisation ? Certes, il y a toujours péril à se laisser aller au désenchantement et à la colère, au risque d’oublier que l’évangélisation est toujours à reprendre dans des étapes historiques problématiques, et qu’il importe d’abord de construire et de reconstruire selon l’inspiration de Celui qui fait sans cesse toutes choses nouvelles. Mais, par ailleurs, il serait présomptueux de sous-estimer les difficultés d’un épiscopat et d’un laïcat qui se dressent contre une offensive politique. Celle-ci sape toute la tradition chrétienne d’un pays et entend faire prévaloir une idéologie qui se veut progressiste mais cache mal son nihilisme véritable.
Les choses se compliquent sans doute sur la péninsule ibérique avec les souvenirs de la guerre civile (et de ce qui la précéda), ainsi qu’avec l’héritage du franquisme et l’émergence des mémoires refoulées. Benoît XVI est suffisamment averti des leçons de ce passé pour vouloir éviter l’abime des clivages insurmontables. Son refus de polémiquer avec le gouvernement Zapaterro est sage, mais on ferait fausse route de soupçonner le Pape d’une quelconque volonté de repli. Son optimisme est conquérant. Il est aussi lucide. Sans doute escompte-t-il que les différents bras de fer engagés entre les tendances et les partis pourront être arbitrés par le haut. Mais il faut s’attendre à des moments difficiles, à des tensions périlleuses. Une solution “à la française” qui privilégie la laïcité de l’Etat et rend l’Eglise autonome n’est pas si évidente. La laïcité, lorsqu’elle est le masque d’une idéologie, trahit la neutralité qu’elle prétend mettre en œuvre. Quand, par la déconfessionnalisation de l’enseignement, elle aboutit, comme chez nous, à l’amnésie culturelle et spirituelle, il n’y a pas lieu de jouer au fanfaron pour faire la leçon à ceux qui ne veulent pas abdiquer sur ce terrain. Le divorce, qu’on estime grandissant entre l’Eglise et la société, est-il enfermé dans un déterminisme de fer ? Ou bien la liberté est-elle encore assez féconde pour susciter une initiative créatrice, des mutations inattendues ? Contre toutes les prévisions d’un progressisme intéressé, la puissance de la fidélité pourra étonner jusqu’aux plus sceptiques.
Gérard LECLERC