En novembre 1972, une jeune fille de 16 ans, Marie-Claire, est relaxée à grand bruit. Elle avait avorté contre l’avis de son petit ami, mais avec la complicité de sa mère, à la suite de ce qu’elles présentaient comme un viol. On doit au procès de Bobigny la dépénalisation de l’avortement en France qui interviendra en 1975. L’avocate Gisèle Halimi avait su exploiter un fait divers tragique, pour obtenir ce qu’elle revendiquera ensuite comme un « procès politique » : « s’adresser, par-dessus la tête des magistrats, à l’opinion publique tout entière, au pays. Pour cela, organiser une démonstration de synthèse, dépasser les faits eux-mêmes, faire le procès d’une loi, d’un système, d’une politique. » Elle félicitera par la suite les journalistes d’avoir « parfaitement joué le jeu ».
En matière de « dépassement des faits », il en est un que l’avocate a osé, avec les médias dans son sillage, clamant à l’unisson que la jeune fille avait été violée. Le viol, argument ultime pour rallier les indécis à la cause de l’avortement, est aussi présent, dans la célèbre affaire Roe contre Wade, qui a provoqué sa légalisation en 1973 aux Etats-Unis. En assénant la thèse du viol, on entend paralyser toute objection.
Intervenant le 8 mars 2004 lors d’un colloque au Sénat – une fois l’IVG solidement implantée en France – celle qui était devenue l’icône révérée du féminisme est revenue sur les faits du procès de Bobigny. Gisèle Halimi a révélé que « Marie-Claire avait été presque violée par un ami auquel elle ne voulait pas céder ».
Dans sa bouche, l’atténuation vaut presque aveu de tromperie. Inventer un viol, c’est prendre le risque de décrédibiliser les plaintes pour des agressions sexuelles bien réelles. Un comble pour l’avocate qui s’est courageusement battue pour qu’on ne néglige plus ces plaintes. C’est elle qui a obtenu, grâce à un autre procès historique, la criminalisation du viol, alors que l’acte relevait de la correctionnelle. Mais pour parvenir à ses fins, la « libération » des femmes, tous les moyens paraissent bons à celle qui s’est fixé comme mission de traquer le machisme sous toutes ses formes.
L’enfance de Gisèle Halimi explique peut-être sa rage à affranchir ses semblables des contraintes de la maternité subie, voire de la maternité tout court… Son livre Fritna (Plon 1999) évoque une enfance ternie par ses relations avec sa mère : « C’est l’histoire d’un amour-passion, le mien, pour une mère qui ne m’aimait pas ». Considérant que Fritna représentait « tout ce que ne doivent pas être les femmes » elle se promet de résister aux conceptions de sa mère sur la condition inférieure des femmes : soumission à leur mari, à leur destin, et aussi à la religion. Elle juge cette dernière obscurantiste et machiste, même si elle trouvera toujours quelques catholiques déclarés (et même un religieux) pour militer à ses côtés pour l’avortement.
Dans l’histoire de Marie-Claire, le père du bébé avorté avait revendiqué en vain son droit à la paternité… Ce n’est sans doute pas un hasard si l’affaire choisie par l’avocate pour changer la donne est emblématique du conflit entre les sexes.
A son tour le téléfilm de Luciani met soigneusement en scène l’agression sexuelle qu’aurait prétendument subie Marie-Claire (rebaptisée Léa), donnant corps à la thèse des plaignantes. Car Sandrine Bonnaire dans le rôle de Michèle Chevalier, renommée Martine (la mère de Marie-Claire) et Anouk Grinberg dans celui de Gisèle Halimi se prêtent au jeu d’une sorte de « docu-fiction », un genre dont on sait qu’il rend le téléspectateur incapable de démêler le vrai du faux. Il croit assister à un fidèle morceau d’histoire mais c’est lui qui est abusé. Et bien des Français ont avalé, comme en 1972, l’absurdité d’un scénario qui voit le « violeur » prendre le risque de dénoncer l’avortement auquel a recouru sa compagne ! Face à la propagande idéologique pour l’avortement qui n’hésite pas à travestir les faits, l’esprit critique semble s’évanouir. En avril 1971, le Nouvel Observateur avait déjà publié avec son « manifeste des 343 salopes » (titre provocateur choisi par ses auteurs) des mensonges aussi grossiers qu’efficaces comme celui de la première phrase du texte emblématique : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France ». Aujourd’hui les mêmes militants continuent de gonfler les chiffres de l’avortement clandestin d’avant la loi. Ils ne les évaluent plus qu’à 300.000 en 1975 (ce chiffre devenant presque officiel) mais les calculs honnêtes tournent autour de 60.000.
Derrière la « reconstitution historique » du procès de Bobigny qui fait la part belle à la propagande, au point de considérer des allégations comme la vérité, se vérifie un axiome : derrière tout meurtre se cache le mensonge. Cela vaut pour l’avortement de Marie-Claire comme pour l’euthanasie de Vincent Humbert. Aujourd’hui, le doute n’est plus permis à propos des circonstances de la grossesse de la jeune fille : sa mère, Michèle Chevalier, auditionnée en novembre 1973 par l’Assemblée nationale dans le cadre d’un projet de dépénalisation de l’avortement pour quelques cas extrêmes, dont l’inceste et le viol, protestait déjà : « L’avortement de Marie-Claire, c’était un cas social et, si le projet de loi gouvernemental passait, tout serait à refaire en ce qui nous concerne. En effet, Marie-Claire n’entrerait pas dans les cas considérés et le même drame recommencerait… »
Ne croirait-on pas entendre Marie Humbert protestant à son tour contre la loi Leonetti qui « ne résoudrait en rien le problème de Vincent » ? Le rapprochement ne s’arrête pas là. Avec l’affaire Humbert, l’opinion publique a été trompée sur l’état de santé de Vincent : on l’a présenté abusivement comme tétraplégique et presque aveugle et les protestations de ceux qui l’ont soigné ont été étouffées (cf. FC n°3007). Par ailleurs, si Marie-Claire est relaxée en 1972, c’est parce qu’elle est considérée comme ayant souffert de « contraintes d’ordre moral, social, familial, auxquelles elle n’avait pu résister ». « C’était à la fois courageux, tout à fait nouveau sur le plan de la jurisprudence et suffisamment ambigu pour que tous les commentaires puissent aller leur train », raconte aujourd’hui Gisèle Halimi.
C’est ce même argument de la « contrainte morale », avec les mêmes conséquences incertaines, qui a été avancé cette année pour justifier le non-lieu dont Marie Humbert et le docteur Chaussoy ont bénéficié. Le juge a toutefois préféré, cette fois, éviter le « procès politique » à grand battage médiatique que tramaient les promoteurs de l’euthanasie légale.
Enfin, comme aujourd’hui Marie Humbert aux côtés de l’ADMD (association pour le droit de mourir dans la dignité), Michèle Chevalier est devenue à partir de 1972 la « mère courage » effectuant aux côtés de son avocate, un intense travail de lobbying autojustificateur, en tant que coprésidente de l’association « Choisir », militant pour l’avortement. Et, de même qu’une « proposition de loi Vincent Humbert » est aujourd’hui promue auprès des parlementaires par le lobby de l’euthanasie, Gisèle Halimi et Michèle Chevalier ont écrit après 1972 leur proposition de loi d’un texte d’abrogation de la loi de 1920″, qu’elles ont porté à tous les partis politiques de l’Assemblée.
Avec le procès de Bobigny et son téléfilm, il nous faut vérifier, non seulement que des évènements habilement dénaturés peuvent faire l’Histoire – le constat est presque banal – mais aussi, plus douloureusement peut-être, que cette histoire fantasmée finit par être prise pour la réalité. N’est-ce pas ainsi que naissent les mythes ?
On sait que l’intégration surprise du délit d’homophobie dans la loi instaurant la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité des droits) est, elle aussi, due à la médiatisation d’un fait divers atroce. Or, tout porte à croire aujourd’hui qu’il a été manipulé (cf. FC n°3005).
Pour le Comité protestant évangélique pour la dignité humaine (CPDH) il ne faut cependant pas baisser les bras à propos de l’affaire de Bobigny. Son communiqué appelle à protester contre sa réécriture filmée en prévoyant qu’ »au train où vont les choses, on retrouvera cela dans les livres scolaires et la fiction d’une Histoire « revisitée » s’imposera à tous au détriment de la vraie. Comme dans « 1984 », la terrible anticipation de George Orwell. »
Partageant cette analyse et cet appel à résister, le Président de l’Alliance pour les Droits de la Vie, ajoute de son côté qu’ « il faut surtout tout faire pour que la réalité sur les conditions et les conséquences de l’avortement, tel qu’il se pratique aujourd’hui, soit révélée. » Pour le docteur Xavier Mirabel en effet, « s’il est nécessaire de rétablir la vérité des faits historiques, nous ne devons pas nous laisser enfermer dans un débat trentenaire : des femmes commencent à nous révéler que derrière le mythe de leur libération se cache des pressions et des souffrances profondes qui les laissent seules et ne sont pas prises en compte par les idéologues de l’avortement ». En somme, une incitation à construire librement l’histoire contemporaine pour déjouer le totalitarisme d’une histoire officielle.
Tugdual DERVILLE
Pour aller plus loin :
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- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- A propos du projet de loi espagnol sur l’avortement
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