L‘Esprit des Lumières. C’est à cette enseigne qu’une belle exposition est organisée à la Bibliothèque Nationale de France, dans le but d’exalter la civilisation née au dix-huitième siècle, répandue dans toute l’Europe et fondatrice de la modernité universelle. Un ouvrage comme celui de Tzvetan Todorov (1) développe en même temps la philosophie d’une telle exposition, pour en mieux prolonger les vertus pédagogiques, dans une intention clairement apologétique. Les Lumières, puisqu’elles consacrent l’autorité de la Raison, ne sauraient être contestées. Au demeurant, elles assument leur propre contestation puisque les vertus de la critique leur sont consubstantielles. On est donc mal venu de faire objection à l’enthousiasme qui anime pareille initiative, d’autant qu’à l’ère des fanatismes et du fondamentalisme, on ne saurait trop mesurer son appui à un héritage qui concentre toutes les valeurs humanistes.
On me permettra de faire exception à l’unanimité confortable qui entoure une telle célébration. Non que j’éprouve le moindre désir de dénigrer ce qui participe du meilleur élan de cet engouement : la curiosité scientifique, la confiance dans le développement des virtualités humaines et la construction d’une société d’hommes libres et égaux. Seulement, il y a l’envers du programme, très pudiquement caché par ceux qui défendent farouchement l’innocence immaculée de leur modèle rationnel. Tout d’abord, Pierre Chaunu a montré à quel point la civilisation des Lumières était diverse et contrastée – en dépit des motifs qui l’unifient. L’antichristianisme virulent qui caractérise nombre de “philosophes” en France, n’est pas unanimement partagé. Cependant, il sera reconnu comme un legs constitutif du XVIIIe siècle et il s’impose encore aujourd’hui comme la réponse appropriée au “retour du religieux”. Sans doute ce dernier est-il des plus ambigus et le recours à la raison est-il des plus nécessaire au discernement pour distinguer le spirituel du totalitaire.
Cependant, le rationalisme des Lumières n’est pas dénué lui-même de fanatisme. Il n’est pas sans responsabilité dans le déchaînement de la violence moderne et des religions séculières du XXe siècle. Son mépris pour la Foi ramenée au domaine trouble des “croyances” lui a fait oublier que la Raison et l’Universel lui préexistaient et qu’il les avait reçus du legs judéo-chrétien. Enfin le repli sur le positivisme a eu pour conséquence directe l’expansion d’un irrationalisme occultiste dont Philippe Muray (2) a souligné dans son œuvre l’expansion moderne et contemporaine. Voilà qui nous donne l’occasion de saluer la mémoire d’un homme souverainement libre, dont la rude franchise a ébranlé le conformisme bien-pensant. Une de ses leçons les plus actuelles pourrait tenir en une formule. Il y a certes un bienfait des Lumières, mais l’esprit ne leur appartient pas. L’Esprit est d’un autre ordre, qui ne passe pas.
Gérard LECLERC