L’actuel émoi suscité dans le monde musulman par quelques dessins, au demeurant dérisoires, publiés par plusieurs journaux européens, invite à réfléchir sur la nécessaire sagesse politique que les croyants devraient pratiquer lorsque leurs convictions se trouvent malmenées ou blessées. Mais cette sagesse, qu’impose la raison comme juste appréciation du bien commun et des conditions de la paix entre les peuples, concerne tous les hommes de bonne volonté. Précisément, n’est-elle pas la grande absente lorsque non contents de provoquer les musulmans, on s’acharne à attiser les ressentiments à travers une surenchère mimétique propre à déchaîner les pires débordements ?
Nos esprits forts, qui se réclament des Lumières rationnelles et
écrasent de leur mépris ceux qu’ils considèrent comme aliénés dans la superstition ne font pas preuve d’une particulière intelligence dans leur appréhension du phénomène et leurs méthodes de pousse-au-crime. Avant même de faire la leçon à ceux qui ne participent pas de notre univers culturel et sont attachés à des principes inhérents à une civilisation sacrale, il conviendrait peut-être d’utiliser les ressources que nous donne la science de ce type de réalités enracinées dans les millénaires, plutôt que de manifester une ignorance infantile, en contradiction avec la supériorité rationnelle dont on se prévaut contre les “fanatiques”. Les réactions indignées qui concernent les populations du Proche Orient et de l’Asie s’expliquent par le désarroi profond d’un univers religieux en proie aux coups de boutoir de ce que Marcel Gauchet appelle le désenchantement du monde.
On devrait comprendre à quel point il est douloureux pour ces populations d’être provoquées dans leurs convictions alors que celles-ci structurent leur mode de vie social depuis toujours, et alors que les phénomènes de globalisation sont précisément en train de détruire en profondeur les fondements de leur sacralité. L’islamisme n’est si virulent que parce qu’il émerge de sociétés en pleines révolutions internes dans une logique de sécularisation et d’autonomisation de la vie sociale. Ce que le christianisme a admis, souvent difficilement, mais dont il reconnaît la légitimité à cause de la distinction du spirituel et du temporel est beaucoup moins acceptable pour un Islam fondé sur la surbordination rigoureuse de la société à la loi religieuse. C’est toujours au moment du basculement inéluctable dans une mutation historique décisive que les adaptations apparaissent comme les plus douloureuses. Raison de plus pour ne pas provoquer inutilement les sensibilités à vif. Dans le langage de la philosophie et de la théologie chrétienne, on appelle prudence ce qui ressort des nécessités de la raison politique et de la sagesse pratique. Nos “laïques”, en veine d’ironie, sont-ils à même de la pratiquer ?
Gérard LECLERC
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- MESSAGE POUR LA JOURNEE MONDIALE DE LA PAIX
- La République laïque et la prévention de l’enrôlement des jeunes par l’État islamique - sommes-nous démunis ? Plaidoyer pour une laïcité distincte