La superbe réussite de la pièce Un homme pour l’éternité (cf les articles de Pierre François dans France Catholique n°3006), jouée par le théâtre de l’Arc-en-Ciel, met en pleine lumière un personnage hors du commun, dont le témoignage vient retentir au cœur de notre présent le plus vivant. Thomas More, saint et martyr du XVIe siècle, n’a pas été choisi au hasard par Jean-Paul II comme patron et modèle des hommes politiques. Son sacrifice justifié, par la raison d’Etat, nous renvoie à la tragédie d’une conscience atteinte au plus profond d’elle-même. L’aube des temps modernes fait réapparaître, dans un tout autre contexte, la résistance obstinée d’Antigone face à Créon. La protestation jusqu’à la mort, au nom des lois non écrites, contre l’iniquité de la décision du pouvoir. Celui-ci prétend se conforter d’une légitimité nouvelle. Certes, Henri VIII d’Angleterre est un tyran, souvent sanguinaire, qui ne saurait encore se réclamer d’un consentement démocratique. Mais il est avant-gardiste à sa façon, en instaurant la toute puissance du politique émancipé d’une autorité spirituelle rappelant des principes d’un autre ordre.
Thomas More, profondément respectueux du souverain et des institutions qu’il a servis, ne s’est nullement dressé avec violence contre l’ordre établi. Sa démission de Chancelier et son silence constituent à eux seuls une réprobation insupportable, parce que l’intégrité de l’homme, son désintéressement sont une accusation muette. Les principes pour lesquels il témoigne, sans jamais ouvrir la bouche, sont trop forts pour celui qui en mesure la portée. Thomas doit donc être condamné afin qu’avec lui disparaisse la simple ombre d’un soupçon. Les arguments tombent, étonnamment proches de notre entendement d’aujourd’hui : cet homme est un fanatique, un exagéré. Traduisez en langage un peu plus branché : out, déconnecté, ringard, et même – pourquoi pas ?-, fondamentaliste.
Dans le champ de la raison politique contemporaine, une certaine protestation de la conscience est incongrue. Elle est même justifiable d’un interdit souverain. Le tyran d’hier a été remplacé par les représentants de la volonté générale et un réel progrès de l’Etat de droit semble avoir immunisé nos sociétés émancipées de tout arbitraire. Mais la légitimité du suffrage populaire et la domination de l’opinion ne sont pas adéquates à la définition du bien et du mal. Fort heureusement, le droit démocratique laisse un espace à l’objection de conscience en cas de désaccords graves. Mais cette concession est quelque peu fragile. On se souvient des attaques furieuses contre l’encyclique Evangelium Vitae, quand le Pape a osé rappeler la transcendance des principes par rapport aux décisions majoritaires. C’est bien pourquoi l’exemple de saint Thomas More nous est précieux. Face à la prétention de l’Etat moderne à transgresser les lois non écrites se dresse la réprobation du chancelier d’Angleterre qui va vers l’échafaud dans la lumière de l’invisible et de ses lois intransgressibles.
Gérard LECLERC