3007-Euthanasie : Affaire Humbert - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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3007-Euthanasie : Affaire Humbert

L’affaire Vincent Humbert est-elle close ? Avec la réquisition de non-lieu à l’encontre de Marie Humbert et du docteur Chaussoy par le procureur de la République, son épilogue judiciaire est proche : la justice veut éviter un procès à grand spectacle. Ses «accusés» y auraient triomphé comme deux victimes innocentes, solennellement blanchies. Leur acquittement, plus que ce non-lieu, aurait valu dépénalisation jurisprudentielle de l’euthanasie. Et c’est pour éviter cette instrumentalisation que les magistrats ont préféré clore l’affaire en catimini. Avec un effet pervers cependant : donner l’impression qu’on ferme les yeux sur les euthanasies dès lors qu’elles sont «consensuelles». Cette approche satisfait nombre de politiques. Elle soulage le Dr Chaussoy et, au moins partiellement, Marie Humbert – même si elle s’en défend – car tout procès est une épreuve qui recèle des risques… Mais justement, l’absence du procès ne nous prive-t-elle pas d’entendre des voix jusqu’ici trop discrètes? Certes, toute la France semble avoir applaudi à la mise à mort annoncée de Vincent Humbert, en deux temps, d’abord par sa mère, à la veille de la publication du livre qu’on attribue à son fils, ensuite, le surlendemain, par un réanimateur poussant la piqûre létale dans la panique et sous la pression, alors qu’il ne connaissait pas vraiment Vincent. Or, que disent les soignants qui ont entouré de leur attention le jeune homme ? Et que pensent les familles des personnes qui vivent des situations proches de celles du jeune accidenté ? Il est temps d’analyser non seulement l’exploitation de cette situation par le lobby de l’euthanasie, mais surtout, la réalité du drame intime qui s’est noué, à Berck-sur-Mer, entre une mère et son fils, aboutissant, comme dans bien des crimes passionnels au meurtre «par amour».
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J’ai mis beaucoup de temps à décider de lire le livre de Vincent Humbert, un jeune homme comme les autres jusqu’au jour funeste où il fut fauché par un accident de la circulation. Sa mort, au moment même de la publication de son livre, m’avait profondément choqué. Mais que pouvait-on dire ou répliquer face à tant de détresse personnelle et familiale ? Tout semblait annoncé, expliqué, justifié.

Un an après son décès, je me suis obligé à lire Je vous demande le droit de mourir. Je me suis alors étonné que la dialectique éprouvée des promoteurs de l’euthanasie ait pu être mise en scène à ce point de perfection par un jeune homme tenu éloigné de ces débats, d’abord quand il était en bonne santé par les préoccupations de son âge, ensuite par sa grande difficulté à communiquer. Vincent précise lui-même que certains des événements qu’il rapporte lui ont été racontés à cause de l’amnésie qui a marqué la période de l’accident. En revanche, sur ce qui concerne son témoignage de vie, j’ai trouvé des accents de sincérité révélateurs, et je dois dire qu’ils ont provoqué en moi un profond malaise. Car j’ai découvert à quel point le système de valeurs utilisé comme référence par Vincent est proche de celui qui fonde aujourd’hui les errances de notre société. Indépendance, sexualité, sexualité.

Indépendance : Vincent ne cesse de clamer son inutilité, le poids qu’il représente pour ses proches, et la peine si compréhensible qui l’habite d’être dépendant pour tous les gestes de la vie ordinaire. Il dit son désir de mourir pour « foutre la paix à tout le monde » ajoutant : « Je coûte cher à la société ». A bien des égards, les mots autodestructeurs utilisés par le jeune homme m’ont paru injustes pour lui-même, et également terribles à entendre pour tant de personnes qui vivent dans des situations comparables.

Apparence : Vincent n’a pas de mots assez durs pour se décrire, refusant d’ailleurs qu’on le photographie dans son état : il s’imagine une « tête débile », un avenir de « légume racorni »… Il se soucie beaucoup de l’image qu’il va laisser, lui qui avait, lui disait-on « une tête d’ange ». Quand il évoque son passé, il précise même : « Je passais des heures et des heures dans la salle de bain et quand j’en sortais, je venais toujours voir ma mère pour qu’elle me confirme que j’étais beau et bien habillé ».

Sexualité : c’est la partie la plus terrible. Celui qui souligne son passé de « super dragueur » se désole : « côté drague, c’est mort ». « Quand j’en parle avec mon frère qui doit avoir une centaine de gonzesses à son tableau de chasse, ça me fait à la fois du bien et du mal parce que je sais que tout cela je ne le vivrai plus. » Et d’évoquer brutalement sa frustration « quand j’entends des trucs à la télé, quand mon frère me raconte des histoires de c… » Valeur dominante, le sexe produit de consommation provoque pour beaucoup d’intolérables frustrations.

Comment ne pas souffrir avec celui qui se découvre en si profond décalage par rapport aux canons imposés à sa génération par son temps ? Comment ne pas comprendre les expressions de haine de lui-même et aussi des autres qui jonchent les pages de son livre ? Mais justement, cautionner la revendication qui conclut l’aveu d’une telle désespérance, au point d’accéder à la demande de mort m’est plus encore apparu comme un véritable abandon de celui qui souffre, comme un gage donné à la fatalité.
Un seul indice aurait dû suffire à faire prendre du recul sur les revendications suicidaires de Vincent Humbert : cette forme de haine qui apparaît dans son livre pour des personnes que son drame lui a fait côtoyer. Tout indique une rébellion désespérée contre le destin. Aucun accès à la sagesse et à la paix ne transparaît encore. On ne peut l’en blâmer. Mais les soignants, qui ont cru pour lui à un chemin de vie et qui osent encore le dire, sont estimables. Je n’ai entendu personne analyser le système de valeurs sous-jacent au livre de Vincent Humbert. C’est peut-être celui qu’inculquent ordinairement aux générations nouvelles les modes de vie contemporains. Mais justement, qui ne sent les limites de « ces signes ostensibles du bonheur » qu’on nous prescrit ?

Vincent a tout de même fait preuve – comment ne pas le noter ? – d’une vitalité exceptionnelle si l’on en croit les pages de son livre déjà évoqué.
Laisser croire que cette fin était inéluctable, c’est peut-être dédouaner une mère blessée et endeuillée, c’est aussi aller dans le sens de l’émotion générale. Ce n’est pas respecter la vérité. Mais qui est prêt à l’entendre ? Comment se fait-il que l’analyse des professionnels du centre de Berck, qui ont accompagné au quotidien le jeune homme dans la progressive émergence de ses capacités intellectuelles recouvrées, ait à ce point été passée sous silence ? (voir page 10). Quelques jours après le drame, un reportage du Quotidien du Médecin a pourtant levé un coin du voile. Il remettait en cause cette idée si facile selon laquelle il n’y avait pas d’autre solution que la mort pour le bonheur de Vincent. Non seulement les professionnels se disaient trahis par tout un environnement leur semblant avoir influencé le jeune homme et sa mère, mais encore ils notaient avec tristesse qu’aucune des propositions qu’ils leur avaient faites pour un nouveau « projet de vie » n’avait été acceptées : refus de rencontrer une psychologue clinicienne ; refus des sorties ; refus même des propositions d’aide matérielle affluant après l’intervention du Président de la République.

On doit reconnaître à Jacques Chirac une attitude particulièrement humaine dans sa façon d’aborder cette situation où il était mis en demeure, lui qui avait « le droit de grâce » d’exercer son pendant qu’aurait été « le droit de mourir ». Lorsqu’il a rencontré Marie Humbert, il aurait réussi, selon certaines interprétations, à la convaincre que l’urgence était à la vie : « Il faut absolument aider Vincent et tout faire pour lui redonner la joie de vivre. Et pour que Vincent aille mieux, il faut que vous aussi vous alliez mieux. C’est pourquoi nous allons vous aider, vous soutenir dans votre quotidien et j’y veillerai personnellement ». Avant de conclure une dernière fois avec un peu de cet humour qui s’avère souvent analgésique : « Un message en toute paternité. Il faut qu’il reprenne goût à la vie. Dites-lui que c’est un ordre du Président de la République. » Le chef de l’Etat n’était pas tombé dans le piège du chantage politique dont on sait qu’il avait été organisé par un journaliste. Il n’avait pas non plus esquivé la rencontre, et il continua de téléphoner à la mère et à son fils.

Mais dès qu’elle s’est retrouvée face à Vincent, Marie Humbert n’a pas fait passer un tel message. Terribles révélations que de découvrir comment un jeune homme a pu exiger dans un chantage affectif sans limite, d’être tué au nom même de l’amour.

L’étouffant binôme mère-enfant

J’ai longtemps réfléchi à la raison de cette impasse relationnelle dans laquelle m’a semblé s’enfermer ce couple mère-enfant. Je n’ai pu m’empêcher de songer à la place du père, singulièrement absent, en raison d’une séparation douloureusement vécue par le jeune homme quand il était enfant. Alors que la présence de la mère était quotidienne, le père ne venait donc qu’épisodiquement à Berck. Il ne s’agit aucunement de l’en blâmer (dans certaines circonstances, qui ne se sent loin de ceux qu’il aimerait assister ?) mais de saisir ce que ce déséquilibre a pu entraîner. Marie et Vincent insistent d’ailleurs souvent sur la solitude de la mère. On sait l’importance que prend la mère d’une personne qu’on tente de sortir d’un coma prolongé. Dans cette situation, un être humain n’est pas loin de ressembler au nouveau-né dont les sens ne sont pas encore en éveil et qui établit progressivement, grâce aux interactions privilégiées qu’il expérimente avec celle qui lui a donné le jour, l’entrée dans la vie relationnelle.

Il est indéniable que Marie Humbert a magnifiquement assumé sa présence auprès de Vincent pour lui permettre, non seulement de sortir du coma, mais encore d’acquérir, contre tout espoir, des capacités de communication magnifiques. Oui, mais le rôle d’un père est également essentiel : c’est, progressivement, de sortir ce binôme mère-enfant du face à face dans lequel il ne peut s’ouvrir au monde. Au père d’arracher – avec délicatesse – la mère à l’enfant et l’enfant à la mère. Un père portera préférentiellement son enfant en l’orientant vers l’extérieur, marquant inconsciemment qu’il le pousse à affronter la réalité du monde et à s’extirper du cocon maternel. Sortir du coma, c’est sortir d’une régression, l’accidenté a besoin de ne pas en rester à l’étape initiale de son réveil. Fusion, agressivité et révolte sont des étapes qu’il faut l’aider à dépasser. Or, ceux qui ont connu Vincent et sa mère pendant de longs mois ont témoigné de leur impuissance à être admis dans ce couple tellement il était fort, exclusif, enfermant.

Tout le livre de Vincent marque cette exigence réciproque qui les conduisit jusqu’à l’ultime passage à l’acte. Lorsque Vincent, dans la dernière ligne de son livre, évoque ce que deviendra sa mère après sa mort, il nous prévient : « Pensez à tout l’amour que doit avoir en elle une mère pour aimer autant. Et laissez-la vivre en paix le semblant d’amour qui lui reste à vivre. » Comme si la vraie vie de Marie devait, d’une certaine façon, s’arrêter avec ce geste fatal.
Et, effectivement, elle semble s’arrêter là : on la voit partout raconter, expliquer et justifier ce geste. Comme son fils le lui a demandé, elle se fait l’apôtre de l’euthanasie. Aucune faille ne transparaît dans les raisonnements imparables de celle qui dit pourtant avoir tant douté. Et comme Vincent, peut-être influencé par les associations qui l’environnaient, a également demandé que soit légalisée, plus largement que dans les situations extrêmes, l’euthanasie, elle a endossé ce grand combat.

On ne peut pas en vouloir à une mère qui s’est entendu dire : « Non tu ne m’aimes pas. Si tu m’aimais, tu me tuerais. » On ne peut pas en vouloir non plus à Vincent qui est resté enfermé dans la fusion avec sa mère que seule la mort semblait pouvoir lui garantir. « Elle s’est, j’en suis sûr puisqu’elle me l’a confié, mis à penser comme moi, à se mettre à ma place, à avoir mon langage. » Voilà ce que Vincent raconte du jour où elle lui a cédé, avant d’ajouter : « Ma mère pleurait contre moi, elle me serrait si fort, blottie contre moi, j’avais l’impression de sentir son odeur tellement elle était en moi. »
Nous avons tous vécu, du moins peut-on l’espérer, de tendres moments de fusion avec notre mère lorsque nous étions nourrissons. Mais le grand drame de Vincent, c’est de n’avoir pu recouvrer son autonomie affective.

Tugdual DERVILLE