Benoît XVI vient de bousculer quelque peu les idées convenues à propos de l’ouverture de « l’Eglise au monde », cette formule qui a été trop utilisée pour son ambiguïté native. C’était lors des vœux du pape aux cardinaux, une semaine avant Noël. Le Saint Père tenait à faire une mise au point afin de mettre au clair l’héritage de Vatican II. Qui, mieux que Joseph Ratzinger est à même de parler d’un concile qu’il a vécu d’un bout à l’autre, dont il a élaboré certains textes et dont il n’a cessé de méditer le contenu et les effets ? La crise considérable qui est intervenue au lendemain de sa clôture n’a pu que prolonger l’interrogation qui était celle des pères conciliaires. La volonté d’adaptation de l’Eglise au monde moderne justifiait-elle tous les alignements idéologiques ? Quelle pouvait-être la nature du nécessaire dialogue engagé, et comment pouvait-on envisager dans un contexte nouveau la mission d’évangéliser et de sauver ce monde ?
La tâche était particulièrement ardue, puisque ce fameux monde était largement énigmatique. la meilleure preuve en était que sitôt Vatican II terminé, la société changeait radicalement de bases et l’optimisme de la reconstruction d’après guerre se trouvait durement contesté. Du coup, Gaudium et spes, le texte qui se présentait comme la charte des rapports à venir entre l’Eglise et le monde se trouvait discuté, parfois non sans férocité. Certains dénonçaient des facilités d’appréciation qui renvoyaient à la pop-sociologie des magazines en vogue. Il est vrai que l’évolution rapide des réalités de civilisation rendait quelques conceptions caduques. Le cardinal Ratzinger expliquerait pour sa part que le concile avait été marqué par l’éphémère optimisme de la période Kennedy.
Pourtant Gaudium et spes qui n’avait pas été facile à élaborer dépassait la crise des années soixante, en énonçant des principes de discernement qui, aujourd’hui encore, sont pertinents. La partie la plus féconde de cette constitution conciliaire avait été préparée par un groupe de travail de Cracovie, à l’initiative de Mgr Karol Wojtyla. Il s’agissait, en tenant compte de l’évolution historique qui avait retiré à l’Eglise ses responsabilités directes dans la gestion des affaires politiques et sociales, d’envisager avec quel regard cette même Eglise devait comprendre la situation dans laquelle elle évoluait. Loin d’avaliser toutes les données contemporaines, il convenait de les analyser en profondeur, et dans la perspective de la théologie morale la plus exigeante.
Mais Benoît XVI le constate : deux herméneutiques se sont affrontées depuis quarante ans. Autant la première se veut en cohérence avec la tradition de l’Eglise, autant la seconde est tentée de trouver dans la civilisation contemporaine des éléments de rupture avec la continuité ecclésiale. Le pape insiste sur la fidélité qui oblige cette même Eglise à demeurer signe de contradiction. En d’autres termes, l’herméneutique de l’enseignement de Vatican II ne saurait être commandée par une logique hétérogène à cet enseignement. Sans doute, les chrétiens s’enrichissent-ils des apports les plus féconds de la culture séculière, mais ils ne sauraient se soumettre à une logique étrangère à la foi. La modernité peut être une gnose séduisante, mais c’est toujours la croix qui sauve le monde, du fait d’une folie divine toujours aussi inadmissible que lorsque l’apôtre évangélisait l’empire romain.
Gérard LECLERC