Il venait de publier un beau livre ainsi intitulé… Tout-à-coup Herriot, qui ne l’écoutait guère, nous dit : « La France est condamnée. C’est la grande et belle statue dressée à la pointe du monde occidental, au Finis terrae, et que la poussée slavo-germanique, venant de l’Est, va précipiter dans l’Océan ». Il nous livrait là le fond de sa pensée. Nous nous récriâmes : » Mais voyons, Herriot, c’est du Renanisme, du Renan disant à Déroulède : « jeune homme, la France se meurt, ne troublez pas son agonie ». Édouard Herriot nous lança un regard douloureux sans affectation, se leva, alla, roulant des épaules, rejoindre ses copains. Barres dit : « Il ne tient pas compte des sursots(des sursauts)… « Mais ces paroles l’avaient impressionné et il m’y fit, par la suite, allusion souvent » (p.780)
Léon Daudet donnant de la profondeur à Édouard Herriot, inattendu ! Dès lors, le recours à Combes mesure maçonnique, subterfuge de politicien moyen ou désir désespéré de porter « l’idée républicaine » à son achèvement intégral avant le grand naufrage, avant Finis Franciae ?
« ILS NE PASSERONT PAS ! » COMME A VERDUN !
Dans tous ces cas de figures, le coup fut raté. Le feu prit, en Alsace. Les explications du député du Cartel, élu dans le Bas-Rhin, G. Weill (« L’Alsace et la République. La véritable volonté de l’Alsace et de la Lorraine ». Le Quotidien 2l/6 et 26/6) n’enrayèrent pas le mouvement, relaté par le menu par L’Echo de Paris, le quotidien très lu par des catholiques.
Au long de juillet 1924, la « crise en Alsace » retint l’attention. Elle finit par être titrée : « La défense des libertés religieuses ». La protestation culmina le dimanche 20 juillet : « Une manifestation grandiose à Strasbourg. Un cortège de 45.000 Alsaciens se déroule à travers la ville » (Echo de Paris du 21/7 avec, notamment, la photo de Robert Schuman qui, d’ailleurs avait, déjà, donné une interview à ce quotidien le 2l/6).
Si, en août, il y eut une pause – les vacances ça existait déjà et, surtout, l’attention se porta sur les négociations du Président du Conseil aux Chequers -, dès le début septembre, l’affrontement gouvernement, du Cartel/ catholiques reprit de plus belle : « En Alsace et en Lorraine, le gouvernement de M. Herriot passe à l’offensive contre l’école confessionnelle »(EP 2/9), « Les catholiques d’Alençon crient à la persécution religieuse »(EP 5 septembre), » Mgr Badel, évêque de Sées, proteste en faveur des clarisses d’Alençon »(EP 6/9) « La persécution religieuse. Les expulsions ont commencé »(EP 8/9) etc. Les meetings locaux se succédèrent.
Aussi, d’aucuns invitèrent-ils à l’union : « Ce n’est pas seulement au Parlement, c’est dans le pays que l’opposition doit s’organiser. Ah ! si notre maître Barrés était là ! Qui donc ramassera le flambeau et organisera les républicains nationaux » EP 23/9 Désiré Bouteille, député de l’Oise). En fin de compte deux hommes donnèrent voix et forme à la contestation.
Le Père Doncœur, jésuite prestigieux, fondateur de la DRAC (Ligue pour la Défense des Droits des Religieux Anciens Combattants) et l’un des premiers hérauts de Péguy dans le public catholique :
« Nous ne partirons pas ! Partir comme nous l’avons fait en 1902 ? Jamais.
« Nous avons un peu plus de sang dans les veines, voyez-vous, et puis, soldats de Verdun, nous avons appris aux bons endroits ce que c’est que de s’accrocher.
« Pour l’honneur de la France – entendez-vous ces mots comme je les entends… » (EP 2/II/1924)
Ce « Nous ne partirons pas » évocateur du « Ils ne passeront pas ! » est bien dans le style de l’homme inclinant vers ce que quinze ans plus tard on appellera « un christianisme de choc ». Cependant, au-delà de l’homme singulier, il est significatif d’une mutation chez les catholiques. Comme une assurance d’eux-mêmes qu’ils n’avaient pas en 1905. Conscience d’avoir fait leur devoir à l’égard de la République pendant la Grande Guerre ? Assurément ! En plus, la certitude d’être nécessaire à l’Histoire. C’est ce thème que développe le même Père Doncoeur, dans la revue Les Études (5 mai 1925) sous le titre révélateur : » Le soulèvement de la France catholique ».
Après avoir souhaité que les catholiques se mettent « en état d’obéir » à « des ordres simples, réalisables, dont l’exécution sera exigée à date fixe », il lançait :
« En présence du désastre où nous ont précipité les vieux paganismes pourris, en face d’une civilisation matérialiste en banqueroute frauduleuse, tandis que bouillonnent des paganismes nouveaux jetant des races entières dans d’audacieuses croisades, peut-être vivons-nous une de ces heures de Dieu qui scandent l’Histoire ; peut-être vibrons-nous des premiers frémissements « d’un essor nouveau, lui aussi, du Catholicisme, se dégageant tout à coup de ses servitudes, reprenant conscience de sa mission, se renouvelant pour aller au-devant de centaines de millions d’âmes que le bolchevisme, que l’Inde, que la Chine entraînent dans un élan mystique vers d’atroces et décevantes rédemptions ! Et pourquoi dans un univers qui fermente de tant d’erreurs la vérité ne vibrerait-elle pas aujourd’hui d’une juvénile ardeur ? Doutons-nous à ce point de notre christianisme ? »
Autrement dit du « Nous ne partirons pas ! » au « En avant marche ! » Au fin du fond le Grand Orient de France, en sa déclaration de 1923, avait finement aperçu que les catholiques étaient susceptibles de relever la tête.
Le deuxième homme oui se leva contre Herriot fut le général Noël, Édouard Curières de Castelnau. Succombant à la tentation de l’image d’Épinal, on serait tenté d’écrire face à l’attaque du « Boursier » la réponse du Vicomte. Évidemment, celui-ci étant le vrai fondateur de LA FRANCE CATHOLIQUE, nous devons aller à sa rencontre de près et en détail.
DE CASTELNAU L’INVENTA « LA FRANCE CATHOLIQUE »; QUI ETAIT-IL,DONC?
Qui fut cet homme? Le savez-vous? Comment, au surplus, le savoir? Il n’a pas publié ses mémoires ni son journal. Que c’est original ! D’autant, qu’il avait de la plume,ce Général! Et,de la verve !
Avant même qu’il ne dressa l’étendard de la révolte contre Edouard Herriot et ses provocations, il était catalogué. « Général de jésuitière » raillait Clemenceau. Décevant cette qualification banale, venant de Clemenceau. »Capucin botté » lança un autre.Voilà qui est plus suggestif et juste. Car, de fait, il y avait de l’attitude et de la mentalité d’Ange de Joyeuse,maréchaï. de France et Ligueur , au sens XVIè du mot, chez « notre » Général !
Négligeant la polémique, tentons de le « reconnaître » à travers cinq attributs.
UN SOLDAT VENU DU FOND DES AGES
Qu’il fut homme d’ancienne souche n’étonnera personne. La maison féodale de Curières est l’une des plus anciennes du Rouergue. On la trouve avec Saint Louis à la croisade ! Diable! Rassurez-vous, cependant,on va la suivre de siècle en siècle, avee sa kirielle de militaires, de hobereaux, d’hommes de robe, etc.
Précisément ,le père du Général (Michel) était avocat et il fut maire de Saint-Affrique. Un « notable »,en somme. Quant à ses frères,ils ne passèrent pas inaperçus.
Le cadet, Clément,comte de Castelnau fut un gestionnaire considéré. Sorti de l’X, Ingénieur du Corps des Mines, il devint Ingénieur en chef du bassin houiller de Saint-Etienne et Directeur de l’Ecole des Mines de cette ville.Ce n’était pas rien. Davantage « technocrate » que politique,toutefois.
L’aîné,en revanche, Léonce, le marquis fut « engagé » et « s’engagea ». Jeune substitut en I869 il fut cassé en 1870 par le Gouvernement ce la Défense Nationale. Réintégré en 1872, il fut révooué en 1880, à l’heure des décrets contre les congrégations.Dieu ! que la République sut être peu libérale ! Devenu avocat au barreau de Nimes,il entra en politique. Conseiller Général vingt-quatre ans.Député de Saint-Affrique en 1902 et I906, il en mourrut. Puisqu’il décéda des suites d’une brutalité inouïe lors du dépouillement de 1906.
L’extraordinaire est que cet acharnement des républicains à son égard n’ait pas rendu le marquis Léonce « réactionnaire ». Point du tout.
Il devint président de l’Action Libérale Populaire, animée par Jacoues
Piou. Assurément, il tint la loi de séparation pour « la charte de l’apostasie nationale ». Néanmoins,en décembre I905, il définissait ainsi le programme de son groupe « …asseoir constitutionnellement la république, forme légale de la démocratie contemporaine, sur le respect du droit et la pratioue sincère de la liberté et pour suivre une politique de réforme sociale sur la sauvegarde du droit individuel et de l’accomplissement des devoirs primordiaux du patronat et de l’Etat envers les classes laborieuses ».Du Léon XIII plus de l’Albert de MUn. De fait, Léonce , dans ce même discours faisait l’éloge d’Albert de Mun. Très « catholique social » cette orientation.
En outre, un hymne à la France, dont il faut assurer « la continuité de son rôle dans le monde, la pérennité de sa qualité suréminente de première personne morale de l’univers ». Ceci est davantage « de Castelnau » que « catholioue social ». Encore que…
Que ce Général d’ancienne souche fut un soldat ne surprendra pas non plus. Soldat, il le fut de tout son être.Il ne pense toujours qu’en termes de combat. Son style sent, constamment, le stratège.Quant à sa carrière militaire, elle fut brillante. Même si elle manqua du couronnement suprême : le « bâton » de maréchal. Pourquoi exactement ? L’hostilité de Clemenceau ? Peut-être. Ou d’autres.
Que l’on se rassure ! On ne va pas la conter par le menu. Des premiers engagements contre : les Allemands, dans l’armée de la Loire en 1870 au commandement de l’armée de l’Est, à l’automne I9I8. On se contentera d’en citer trois moments.
Le plus important pour la suite est le crédit acquis au Grand Couronné, près de Nancy, en septembre I9I4. 0n y reviendra. Le plus méconnu – souvent – fut son intervention à Verdun, en février 1916. Précédant la nomination de Pétain, son initiative « intelligente » (Joffre dixit) garantit l’avenir. Plutôt, on insistera sur le premier moment décisif. Car, dans le contexte de notre approche, il est le plus piquan
t. il faudrait le creuser pour approfondir la personnalité du Général.
Or donc, en I911, l’organisation du Haut-Commandement fut revue et corrigée. Pas dans la sérennité. »L’harmonie n’existe plus chez nos grands chefs » constatait Le Temps (4/8/l911. Le général Joffre fut nommé Chef d’état-major général.Le 2 août I911, sur sa proposition, le général de Castelnau fut nommé premier sous-chef d’état-major. C’est-à-dire son adjoint. Pourquoi? A cause de ses qualités, en particulier de sa vive intelligence stratégique ? Certes ! Néanmoins, jusqu’au dernier moment Joffre hésita entre trois noms :Pochr, Lanrezac et de Castelnau.
« Je fixai mon choix sur Castelnau (afin de) démentir les bruits qui donnaient une couleur politique au choix dont je venais d’être l’objet » (Joffre. Mémoire s tl p.12) . C’est clair. Le général soutenu par les Francs-Maçons choisit un général du camp « jésuite » et le général le plus « marqué » pour neutraliser les critiques.De Castelnau alibi de Joffre ! Amusant!
Le tandem semble, au demeurant avoir fonctionné efficacement. Aussi bien, en I911, pour l’établissement du fameux Plan XVII de mobilisation et d’entrée en campagne qu’au cours des opéations. Joffre ne dit jamais aucune méchanceté contre Castelnau même s’il lui arriva de faire des réserves. Même lorsque la candidature de Castelnau à la succession de Joffre fut soutenue par François de Wendel,