L’assemblée plénière des évêques de France, à l’occasion de sa session de printemps, a publié une déclaration particulièrement claire et nette sur l’anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 (cf, nos pages Ecclesia, 19 à 21). Les évêques rappellent brièvement les circonstances historiques qui amenèrent la séparation de l’Eglise et de l’Etat, dans un climat particulièrement conflictuel. A l’époque, le gouvernement français avait unilatéralement rompu ses relations avec le Saint-Siège et le pape saint Pie X avait condamné cette loi jugée inacceptable, parce qu’elle était conçue dans un esprit hostile à l’Eglise catholique. Cependant, l’évolution ultérieure avait modifié certaines dispositions et la reprise des relations diplomatiques avait permis des négociations qui avaient rapproché les points de vue. Ce qui avait été conçu par certains comme une machine de guerre est devenu paradoxalement un instrument de pacification.
Les évêques expliquent pourquoi. La notion de laïcité – le mot n’apparaît pas dans la loi – a changé de sens. Elle désigne désormais la neutralité de l’Etat, et même son incompétence, en matière religieuse. Elle permet la liberté de conscience et de culte, en garantissant aux institutions religieuses une pleine indépendance. De la connotation anticléricale et idéologique d’autrefois ne subsiste que quelques résurgences de laïcisme que l’épiscopat dénonce. Dans ces conditions, la loi de 1905 apparaît comme régulatrice de l’espace public, et elle est unanimement reconnue comme condition de la paix sociale. Des aménagements peuvent être imaginés à l’encontre d’une interprétation trop étroite de l’article qui interdit tout financement public des cultes.
Cet accord entre l’Etat et les instances des diverses religions s’inscrit dans les principes formulés par le concile Vatican II sur la liberté religieuse et la légitime autonomie des réalités temporelles. Cependant, l’Eglise catholique revendique ses droits d’expression sur les grandes questions morales qui déterminent les équilibres sociaux. L’Eglise, précisent nos évêques, « ne souhaite pas s’enfermer dans la défense de ses intérêts communautaires mais contribuer à promouvoir la dignité intégrale de chaque personne humaine dans notre vie sociale, ainsi que la paix et la justice dans notre société ». On ne saurait trop insister sur ce point. En matière de morale, les chrétiens parlent un langage audible à tous, parce qu’il rejoint les hommes dans l’universalité de leur conscience.
Rémi Brague, dans un ouvrage important, note cette caractéristique propre au christianisme qui consiste à reconnaître l’autonomie de l’éthique de « l’économique » et de la politique. Reprenant le mot de Fustel de Coulanges « Le christianisme est la première religion qui n’ait pas prétendu que le droit dépendît d’elle », il affirme que la laïcité n’est que la conséquence de cette autonomisation. Mais bien loin de porter au relativisme, celle-ci requiert la raison commune aux hommes. Ceci explique que les conflits actuels qui opposent, par exemple, l’épiscopat espagnol au gouvernement de Madrid ne sont pas « confessionnels » mais concernent la nation tout entière. Reste que l’Eglise revendique ce qui fait sa raison d’être : « Faire connaître le Christ, source de renouvellement intérieur et de fraternité ouverte à tous ».
Gérard LECLERC