2975-Quand l'Histoire éclaire le présent - France Catholique
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2975-Quand l’Histoire éclaire le présent

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L’élection, en tous points mémorable, du cardinal Ratzinger au siège de saint Pierre a suscité tout à la fois une adhésion profonde du peuple chrétien et une campagne de presse sur laquelle nous ne nous appesantirions pas si elle ne manifestait une totale incompréhension de l’histoire et de la personnalité du nouveau pape.

Passons rapidement sur le procès en conservatisme qui ne montre en général que la rigidité intellectuelle des procureurs, incapables d’accéder à un domaine dont ils ignorent les coordonnées. Mieux vaut poser une question directe. Si l’on veut présumer que l’ancien cardinal Ratzinger s’est toujours complu dans un refus butté des sollicitations du temps présent, d’un dialogue avec la culture contemporaine ou encore d’une attention portée aux évolutions historiques, on fait fausse route. Joseph Ratzinger s’est toujours montré extrêmement attentif à la société de son temps, à ses problématiques intellectuelles, à ses tourments et à ses impasses ainsi qu’à ses aspects positifs. Peu d’hommes, à la vérité, se sont révélés en notre temps, aussi disponibles pour l’échange et le dialogue.

En veut-on un exemple ? Le Monde dans son édition du 2 mai a publié des extraits substantiels d’un débat entre le cardinal et un philosophe italien athée, Paolo Flores d’Arcais. Ce débat qui eut lieu le 21 septembre 2000 n’a été édité pour le grand public qu’après l’élection de Benoît XVI. Il ne peut que passionner tous ceux qui désirent mieux connaître la personnalité du Pape et sa façon très originale, bienveillante mais exigeante, d’entrer en discussion avec un philosophe qui ne partage pas sa foi et se réclame de la pensée rationaliste et laïque. Loin d’être rebuté par la distance de convictions, Joseph Ratzinger accueille le propos adverse, l’analyse, fait droit à ses requêtes légitimes tout en traçant nettement la position chrétienne. Ce sens de l’écoute, ce respect de l’interlocuteur, le cardinal Ratzinger n’a jamais cessé de le manifester, prolongeant ainsi une tradition qui remonte jusqu’aux origines du christianisme et dont il convient de comprendre la nature. En effet, ainsi que Paul VI l’avait rappelé avec force dans sa première encyclique Ecclesiam suam, le dialogue n’est pas n’importe quel procédé dialectique de persuasion de l’interlocuteur. Il suppose, au contraire, que chacun ne sortira pas intact d’un échange qui l’enrichira et le transformera au point même de lui faire percevoir des aspects de sa propre foi, inaperçus jusqu’alors. Faut-il mentionner la façon dont un grand aîné comme Hans Urs von Balthasar, dès 1952, avait mis en garde contre la notion d’Eglise forteresse, repliée sur soi et ses certitudes et donc rendue incapable de les communiquer aux autres du fait de son enfermement ? L’Eglise a toujours vécu aux risques de l’Histoire et a reçu à chaque époque la provocation de courants inédits de la culture qui l’obligeaient à approfondir sa propre connaissance d’elle-même. Il ne peut en être autrement à notre époque. Et c’est Balthasar encore qui notait qu’avec le développement des sciences humaines il convenait de s’en remettre au pouvoir divin de discernement des esprits, qui dira au chrétien comment il devra trancher face aux difficiles questions qui se posent de façon nouvelle (peut-être après une période de réflexion suffisante). Cette ouverture aux autres opinions ne signifie pas, bien au contraire, l’effacement des convictions. Balthasar n’éprouvait aucune complaisance pour les tentatives de sécularisation de l’Eglise, qui à force d’exténuation du message aboutissaient à sa complète neutralisation. C’est avoir une bien piètre idée du dialogue, y compris à l’intérieur de l’Eglise que de ne l’envisager que sous l’angle d’un échange sans aspérités et sans impasses. Que Joseph Ratzinger, en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, ait eu à s’opposer à d’anciens collègues qui ne respectaient pas des points importants de la doctrine chrétienne ne saurait surprendre. Ce n’est pas manquer de respect à l’égard des personnes que de leur signifier un désaccord motivé, surtout lorsque l’enjeu est d’une particulière gravité. Dans l’Eglise, les divergences théologiques ne sont pas équivalentes à des désaccords philosophiques exprimés dans des institutions séculières. Par ailleurs, le magistère est toujours partie prenante dès que la foi est en cause. Le théologien ne peut jamais s’affranchir de l’autorité ecclésiale, même si cela provoque des tensions, et même des crises douloureuses. Certains ont cru bon de revenir sur certains épisodes de l’action du collaborateur de Jean-Paul II. Mais c’était pour l’essentiel des cas, en se taisant sur la gravité des sujets abordés. Imagine-t-on que l’autorité ecclésiale puisse assister indifférente à la dévalorisation de l’Eglise comme sacrement du salut pour reprendre la formule si importante de Vatican II ? Ce n’était pas sans douleur que le cardinal Ratzinger devait s’opposer à des théories qui allaient jusqu’à nier l’enseignement de saint Paul, prétendument tardif, sur la puissance salvifique de la Croix. Ce n’était pas pour lui une fonction agréable de retirer à un ancien collègue de l’université de Tübingen la qualité de théologien catholique. Mais ce n’était qu’une juste mesure eu égard au sérieux de la doctrine et de son enseignement.

J’ajouterai qu’il y aurait grand intérêt à relire les deux documents concernant la théologie de la libération qui furent publiés sous son autorité. On y constaterait plus que des nuances concernant le combat contre la pauvreté et la mobilisation pour le développement. Les conditions dans lesquels un Leonardo Boff fut appelé à s’expliquer devant le cardinal ne relevait d’aucune procédure inquisitoriale. On a oublié que le religieux ne fut jamais interdit d’enseignement et que le cardinal Ratzinger lui demanda simplement un jeûne médiatique d’un an, ce qui n’était nullement excessif.

Tous ceux qui ont cru bon rappeler ce dossier, pour stigmatiser le conservatisme romain, se sont bien gardés de le mettre en perspective, oubliant de noter les carences d’un système et sa faiblesse de réaction par rapport à l’action des sectes qui ont déferlé sur le continent sud-américain.

Quant au texte Dominus Jesus qui demeure encore dans la bouche de ses contempteurs le principal objet d’accusation à l’égard de Ratzinger, il ne revêt aucun des caractères qu’on lui attribue : fin de non recevoir au dialogue interreligieux, mise en veilleuse d’un œcuménisme chrétien dont les procédures seraient frappées d’interdit. Certes, le cardinal Ratzinger ne pouvait que se référer aux normes de la foi ainsi qu’à celles d’une Eglise dont la constitution humaine et divine n’est pas malléable au gré des manipulations idéologiques. Cependant le texte est susceptible d’une autre lecture que celle de la conformité à l’orthodoxie. Nous parlerions volontiers de déontologie, c’est-à-dire de l’exigence de vérité, et donc de reconnaissance des convictions de l’autre, ce qui exige qu’on ne lui attribue pas arbitrairement ses propres idées et qu’on ne procède pas par amalgame au point de rendre méconnaissable l’intégrité et la cohérence d’un système de signification. Cela est vrai pour le dialogue avec les religions et les sagesses d’Orient. Mais cela est vrai aussi, d’une autre manière, pour les relations entre les diverses confessions chrétiennes. On ne saurait oublier qu’à l’origine de la Réforme il y a contestation formelle de la structure de l’Eglise catholique romaine et qu’en conséquence les communautés réformées s’organisent autrement. N’y a-t-il pas abus aujourd’hui à masquer des oppositions qui restent déterminantes sous un vocabulaire commun mais trompeur ? Si l’on considère les nombreux livres ou entretiens où Joseph Ratzinger s’est exprimé librement sur ces sujets, on ne constate ni acrimonie, ni rejet mais des vues positives et anticipatrices. Saint Augustin que le nouveau pape a beaucoup lu et médité a également passé une large partie de son existence à combattre et à réfuter les multiples hérésies qui mettaient la foi en péril. Cela ne l’a pas empêché d’enrichir considérablement le patrimoine de la pensée chrétienne.

Analogiquement, le cardinal Ratzinger, en raison de ses nombreux combats pour la foi, annonce le pape qu’il sera, avec la promesse d’un grand pontificat.

Gérard LECLERC