2974-Benoît XVI et l'Eglise vivante - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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2974-Benoît XVI et l’Eglise vivante

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Ces jours intenses que nous venons de vivre, il nous faut déjà les méditer, en les retenant dans nos mémoires comme autant de ces mirabilia de l’Ecriture. Et tout d’abord, l’élection du cardinal Ratzinger, devenu Benoît XVI.

Il faut le dire avec conviction : cet événement, qui défie toutes les lois de la sagesse selon le monde, témoigne de l’audace surprenante de l’Eglise, celle dont le collège cardinalice a fait preuve en portant au siège de Pierre celui que, sans aucun paradoxe, on pourrait appeler le frère de Jean-Paul II. Le compagnon fidèle de tout son pontificat, le conseiller indispensable de toutes les semaines, l’homme de foi et de culture qui apportait au Saint-Père l’éclairage de son exceptionnelle intelligence. Notons – non seulement pour l’anecdote – que le pape et le cardinal se parlaient dans la langue de Gœthe que Jean-Paul II maniait avec une particulière aisance, parce qu’il avait beaucoup puisé dans la pensée telle qu’elle s’est déployée dans l’Allemagne contemporaine. C’est dire à quel point la connivence entre ces deux personnalités était profonde. Il y a donc lieu de parler de la continuité entre Jean-Paul II et Benoît XVI. Mais il faut aller plus loin.

On sait quelle réputation on a fait au préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, l’accusant de tous les maux, stigmatisant son prétendu conservatisme borné ou sa fermeture au monde présent. L’élection a d’ailleurs suscité une campagne de presse dont on ne sait s’il faut distinguer la bassesse ou l’ignorance. Certains médias ne lésinent pas sur les moyens les plus indignes. Le cardinal Lustiger a pu parler à ce propos d’ignominie. Passons sur ce ruisseau de boue qui, espérons-le, fera vite honte à ceux qui ont voulu salir ou déverser leur ressentiment. Il est plus intéressant d’examiner le dossier des opposants, disons idéologiques, car il permet de mieux comprendre la stature intellectuelle de l’intéressé.

Joseph Ratzinger est d’abord un théologien. De métier, selon l’expression consacrée, mais surtout d’inclination dans la tradition des Pères et des Docteurs. Sa réputation date du concile Vatican II, où, secrétaire du cardinal Frings, archevêque de Cologne, et expert de commissions, il rédigea des interventions souvent décisives pour la réflexion des évêques. A l’époque, on le considère comme progressiste, ce qui est commode et simpliste, mais surtout réducteur et au fond déjà inadéquat. Car la démarche du théologien est fondée non sur une adhésion éphémère à une mode intellectuelle, mais sur une étude de longue haleine de la Tradition et des génies du christianisme, tels Augustin et Bonaventure.

Il est vrai que déjà l’abbé Joseph Ratzinger entretient une relation étroite avec les courants de pensée contemporains. Il n’est pas né pour rien dans le pays qui a donné, pour le meilleur et pour le pire, les impulsions de l’esprit mondain à l’Histoire, de Kant à Heidegger, en passant par Hegel et Marx. Il établit donc un rapport permanent entre l’intelligence de la foi et le devenir conflictuel des idées et des événements. L’expérience du totalitarisme le garde de tout optimisme inconsidéré. Sans doute reconnaîtra-t-il plus tard que le déroulement de Vatican II n’a pas échappé à l’euphorie des années Kennedy. Mais ce sont précisément les traces optimistes de la période qui se révèlent les plus superficielles. L’expérience de la crise des années soixante devait provoquer une sorte de mûrissement qui n’était nullement un désaveu de lui-même, mais constituait une incitation à mieux comprendre son temps.

Le concile, pense Joseph Ratzinger, est une épreuve de vérité pour l’Eglise, notamment dans son rapport au monde, qui exige le renoncement à tout optimisme mondain. Volontiers, je retiendrai de lui cette citation qui fait tout comprendre de sa propre détermination : Ce qui est décisif, c’est qu’il y a des hommes – les saints – qui par un engagement de leur personne, que nul ne peut leur imposer, créent quelque chose de vivant et de neuf. La décision définitive, en ce qui concerne la valeur historique de Vatican II, dépend de l’existence d’hommes qui réussiront eux-mêmes le drame de la séparation du bon grain et de l’ivraie, et donneront, par là, cette clarté de sens qu’on ne saurait tirer de la lettre seule. Oui, Joseph Ratzinger a mûri aussi dans les années soixante-dix, celles où il va passer du professorat à l’exercice de l’autorité épiscopale. Mais ce n’est nullement pour se réfugier dans on ne sait quel bastion conservateur. Bien au contraire, son ouverture à l’actualité est d’autant plus évidente qu’il a une conscience aiguë de l’histoire qui se fait.1

Si l’on en voulait une preuve, il suffit de se rapporter au débat mémorable qui eut lieu à Munich le 19 janvier 2004, à l’académie catholique de Bavière entre le cardinal et le philosophe Jürgen Habermas. Habermas est une figure majeure de l’Allemagne post-totalitaire, le philosophe du patriotisme constitutionnel et de l’agir communicationnel, particulièrement attentif à l’avènement d’une démocratie fondée sur la raison. Or, le cardinal Ratzinger ne refuse nullement la rationalité rigoureuse de son interlocuteur. Et il précise : Je parlerais volontiers d’une corrélation entre raison et foi, raison et religion, appelées à une purification et une régénération mutuelle ; elles ont besoin l’une de l’autre et doivent mutuellement se reconnaître.

Par ailleurs, le Cardinal se montre extrêmement soucieux de la sollicitation d’un monde aux cultures plurielles, à l’intérieur duquel la raison occidentale n’est pas forcément reçue et comprise. Contrairement, donc, aux présupposés des adversaires de son texte Dominus Jesus, il est plus que quiconque attentif – mais avec discernement – au dialogue des civilisations, où les Occidentaux doivent abandonner toute hubris désastreuse.

En d’autres termes, pour Joseph Ratzinger, les jeux de la mondialisation ne sont pas faits. Et il importe autant à la raison occidentale qu’à la foi chrétienne de « consentir à une écoute, à une forme de corrélation polyphonique où elles s’ouvriront elles-mêmes à la complémentarité essentielle entre raison et foi ; ainsi pourra naître un processus universel de purification où, en fin de compte, les valeurs et les normes, connues ou intuitionnées, d’une manière ou d’une autre, par tous les hommes, gagneront une nouvelle forme de rayonnement ; ce qui maintient ensemble le monde retrouvera de la sorte une vigueur nouvelle ».2 Il est intéressant de constater l’accord de Jürgen Habermas à de tels propos qui, par ailleurs, soulignent l’inanité des polémiques actuelles. La fidélité profonde, essentielle, du pape Benoît XVI au christianisme est à la mesure d’une intelligence de la foi qui fut celle de la grande génération des génies de la théologie du XXe siècle. Mais cette fidélité vit au rythme d’une Histoire, tragique et heureuse en même temps, dont le Pape est un des analystes les plus avertis et les plus aigus de notre époque. Voilà qui nous contraint de répondre à tous ceux qui lui réclament de reconnaître et de comprendre son temps – Désolé, Messieurs, mais le vrai moderne, c’est lui ! Il est extrêmement rare, en effet, dans le monde présent de rencontrer un homme d’une telle stature intellectuelle, spirituelle. Et si les cardinaux l’ont choisi, en dépit de tous les obstacles – son âge, l’hostilité d’une partie des médias, le ressentiment de quelques ecclésiastiques butés dans leur incompréhension… – c’est à cause d’une sorte de nécessité impérative. Oui, le cardinal Ratzinger s’imposait à l’heure cruciale et terrible du choix.

L’étonnante rapidité du conclave, l’unanimité morale des cardinaux n’ont pas d’autre explication. L’ami de Jean-Paul II était son successeur désigné par une sorte d’évidence contre laquelle toutes les objections tombaient, tous les pronostics des spécialistes sur l’affrontement de deux tendances se dissolvaient comme neige au soleil. Depuis son apparition au balcon de Saint-Pierre, Benoît XVI s’est déjà affirmé comme héritier mais aussi acteur positif et inventeur d’une Eglise dont il a dit qu’elle était, d’abord, vivante. Le programme de Vatican II, il l’a évidemment repris à son compte, non pas selon un schématisme creux et d’ailleurs vieilli, mais dans une perspective dynamique, que l’on pourrait qualifier de dialectique, car elle surmonte optimisme et pessimisme dans une vue réaliste et prophétique de l’Histoire. Mais comment ne pas laisser à Benoît XVI le dernier mot, celui qui concluait sa magnifique homélie de dimanche ?

Ainsi, aujourd’hui, je voudrais, avec une grande force et une grande conviction, à partir d’une longue expérience de vie personnelle, vous dire, à vous les jeunes : n’ayez pas peur du Christ ! Il n’enlève rien et il donne tout. Celui qui se donne à Lui reçoit le centuple. Oui, ouvrez, ouvrez tout grand les portes au Christ – et vous trouverez la vraie vie. Amen.

Gérard LECLERC