Nous avons salué, la semaine dernière, le départ du cardinal Jean-Marie Lustiger, pour le remercier de ces vingt-quatre années au service de l’Eglise de Paris et, plus largement encore, de l’Eglise universelle. Nous nous réservons d’accueillir, comme il convient, son successeur, Mgr Vingt-Trois, choisi par le Saint-Père en raison de sa proximité avec son prédécesseur et de qualités propres à assurer une continuité féconde du labeur accompli. Mais nous n’avons pas encore satisfait au devoir de reconnaissance à l’égard d’un archevêque dont la stature spirituelle nous aura marqués au-delà de ce que nous pouvons exprimer. Il s’agit de comprendre comment Jean-Marie Lustiger a été témoin de l’Evangile aujourd’hui et, très précisément en cette période où la civilisation s’est trouvée bousculée au point de fragiliser les liens sociaux et les représentations intellectuelles du destin humain.
Dès les débuts de son épiscopat à Paris, il était patent que Jean-Marie Lustiger, non seulement n’éluderait aucune question de fond – concernant aussi bien la foi que les interrogations des hommes sur eux-mêmes – mais qu’il les aborderait de telle façon qu’on irait jusqu’au bout de la réflexion. En d’autres termes, le Cardinal avait la passion de son temps, mais aucune complaisance pour ses perversions. Toujours attentif à cerner les causes de ses faiblesses pour formuler son espérance. Cela supposait une curiosité universelle. Tout le passionnait, et il n’y avait rien des sciences humaines, des courants philosophiques, des tendances du corps social qui échappait à son attention. Mais cette attention était celle d’un esprit souverainement libre qui ne s’en laissait pas compter par les déterminismes prétendus du devenir, par les presciptions d’une certaine sociologie complètement idéologisée. Il dominait ses objets d’observation pour toujours revenir, selon le mot de Marguerite Léna, à une pensée réflexive qui ressaisissait l’homme dans ses interrogations ultimes.
Ainsi revenait-il sans cesse à la foi et à ses vertus illuminatives, et tout lui était occasion d’évangéliser. Notre pratique du journalisme nous donnait la possibilité d’en percevoir sans cesse, de la façon la plus vivante, le mode de pensée. C’est parce qu’il se refusait à tous les clichés et les systèmes convenus qu’il pouvait creuser l’analyse d’un phénomène et c’est parce qu’il était dans une méditation continue de la parole de Dieu et dans la profondeur de la prière, qu’il avait la grâce d’exprimer, hic et nunc, les raisons de son espérance. Ainsi était-il absolument moderne, sans jamais sacrifier aux idoles de la modernité. Ainsi était-il préparé à affronter toute la difficulté d’une société déstabilisée, tout en mûrissant une pastorale de l’initiation chrétienne et de la formation de l’homme intérieur. Son inflexible espérance lui donnait la certitude que l’instauration du Royaume selon les béatitudes était la chance toujours proche d’une humanité aimée de Dieu.
Gérard LECLERC