Nos amis de la chaîne de télévision K.T.O. ont pris l’initiative d’une immense émission (douze heures en continu) pour fédérer, en quelque sorte, en un grand élan de prière, toutes les émotions provoquées par la tragédie sud-asiatique. Revendiquer un espace pour la prière – et la méditation – au sein de ce grand mouvement d’information et de solidarité, relevait sans doute d’une sorte de provocation salutaire. Que serait une humanité rassemblée par une mondialisation compassionnelle, si ne se creusait pas en elle une interrogation passionnée, douloureuse, et même révoltée, pour interroger le sens des choses ? Et d’abord celui de notre insertion dans le cosmos et dans le temps.
Une phrase de Bernanos m’est revenue ces jours-ci avec insistance : “La prière est la seule révolte qui se tienne debout”. La formule peut paraître paradoxale, un peu scandaleuse. L’est-elle moins que le cri du Christ en croix ? Les chrétiens ne sont pas autrement que les autres. Ils sont frappés par les souffrances, les catastrophes, le scandale de la mort des enfants et des familles décimées. Le grand cri de Job n’a pas fini de retentir : “Périsse le jour qui me fit naître !” La génération intellectuelle de l’après-guerre a été imprégnée d’une pensée de l’absurde dont Sartre, Camus, Beckett et bien d’autres étaient les médiateurs. Mais qu’est la révolte contre le non-sens, le huis clos de l’existence, sinon une gesticulation vaine, à moins que n’y émerge, comme chez l’auteur de La Peste, une fraternité fondée dans l’épreuve extrême ? Jamais la pensée chrétienne n’a échappé à cet affrontement. Mais, pour reprendre Bernanos, il est des révoltes qui retentissent dans l’indifférence du néant et “se tordent comme des vers”. Si la prière est la seule révolte qui se tienne debout, c’est qu’elle n’est pas sans écho et qu’elle reçoit l’écoute d’un Dieu qui se révèle dans la chair et participe à ce qu’il y a de plus scandaleux dans notre commune nature humaine.
Jean Guitton expliquait un jour à François Mitterrand pourquoi il avait préféré le mystère à l’absurde. Le mystère, en effet, ne nie pas le scandale. Il l’assume jusqu’à l’impossible. Simone Weil, cette chrétienne du porche, assumait ce paradoxe presque comme une évidence nécessaire : “De même que le mystère contraint la vertu de foi à être surnaturelle, de même le mal contraint la vertu d’espérance à être surnaturelle.” Sans doute faut-il avoir la magnifique et redoutable audace de notre “Antigone juive” pour oser cette parole presque insupportable. Insupportable, lorsqu’elle n’est pas prononcée intérieurement par la personne qui ainsi perçoit la lumière dans l’abîme. Car seul Dieu peut la recevoir dans le secret, lui que nous invoquons dans la démesure, l’excès, l’incompréhension d’un malheur sans fond.
Gérard LECLERC
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- PALÉONTOLOGIE DU SUBLIME
- Le rite et l’homme, Religion naturelle et liturgie chrétienne
- « LE TEMPS DÉPLOYÉ »
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010