L’actualité de ces dernières semaines est remplie de ce que Georges Bernanos aurait appelé “les mauvais rêves”. Notre pauvre humanité semble, en effet, se dissoudre dans un univers où le mal régnant en maître, la réalité se dérobe. Et même si des cohortes de spécialistes de l’inconscient se trouvaient mobilisées pour nous porter assistance, nous ne pourrions que rester interdits devant cet abîme d’iniquité qui nous fait frémir. Est-il besoin de reprendre ces récits qui s’étalent sur nos écrans et dans nos journaux ? Du procès d’Outreau aux macabres découvertes de la forêt ardennaise et de la plaine alsacienne, nous ne cessons d’évoluer dans un univers d’enfance violée et martyrisée, de criminels incompréhensibles parce qu’ils ont franchi la limite à partir de laquelle il n’y a que les rêves infernaux, insaisissables parce que relevant d’une intériorité occluse.
Bernanos, dans son œuvre romanesque, n’a cessé d’aiguiser sa lucidité spirituelle afin de comprendre ce que la pensée critique et l’investigation psychologique ne pouvaient lui révéler. Je ne connais pas de meilleur secours dans notre triste et morbide actualité que cette quête des âmes, qui a définitivement renoncé à toute curiosité, indécente ou complice, et tente de reconnaître dans le mystère de l’iniquité, la réalité du péché et l’appel de la grâce. Il fallait un théologien de génie comme Hans Urs von Balthasar pour entrer dans l’œuvre bernanosienne à ce degré d’acuité où tout retrouve sens. On ne saurait, à ce propos, trop remercier les éditions Parole et Silence, d’avoir réédité son prodigieux livre “Le chrétien Bernanos”, traduit il y a un demi-siècle par Maurice de Gandillac pour les éditions du Seuil. Le seul chapitre consacré aux mauvais rêves et à la sainteté suffirait à nous arracher aux interprétations décidément inadéquates de nos cauchemars. Ne serait-ce que pour prendre conscience de cette mort intérieure qui produit irréalité et néant.
“Le rêve, écrit le père Balthasar, n’est plus seulement la projection des idées hors de l’âme, mais la suppression de tout sens, l’exténuation de l’être, un creux, un miroir brisé, une dissolution intérieure non seulement de la substance, mais aussi de toute forme où elle puisse s’exprimer. Il existe un idéalisme (philosophique) de l’absence de Dieu, qui traduit de façon parfaite la perte de l’être dans le péché”. Si les saints sont si présents dans les romans de Bernanos, c’est qu’ils sont habités par la seule réalité qui puisse juger le néant et l’enfer : “La réalité fondamentale où vient se briser le rêve du péché, ce n’est pas l’image sensible de Satan, mais bien la Croix taillée à coups de hache et dressée au-dessus de l’abîme”.
Gérard LECLERC