Lors d’un colloque tenu à Angers, samedi et dimanche dernier, à l’initiative des jeunes de l’association Veritatis Splendor, la question de fond concernait “le scandale du christianisme”. Ce que l’apôtre Paul écrivait aux chrétiens de Corinthe demeure, en effet, d’une brûlante actualité. “Le langage de la Croix est en effet folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu”. Ou encore : “Puisqu’en effet le monde, par le moyen de la sagesse, n’a point reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie du message qu’il a plu à Dieu de sauver les croyants”. En d’autres termes, le propre du christianisme c’est de se réclamer d’un Dieu tellement partenaire des hommes et de leur histoire qu’il transforme la dramatique humaine en dramatique divine. C’est la Trinité tout entière qui se trouve engagée dans le salut du monde, l’incarnation étant le moyen providentiel choisi pour épouser la condition humaine et ainsi se trouver investie de la masse du péché des hommes pour l’anéantir dans la Passion.
C’est peut-être en partie parce que cette réalité est pure folie, que certains ont eu du mal à encaisser “la violence” du film de Mel Gibson, au-delà de toute appréciation esthétique. Mais n’est-ce pas la dureté même de l’histoire qui nous impose de méditer sans cesse, à frais nouveaux, sur la souffrance insupportable du Christ ? Notre pays a commémoré la semaine dernière le drame de Dien Bien Phu et le film de Pierre Schoendorfer nous a permis de prendre conscience de l’horreur indicible de la bataille. De même, le monde entier se trouve-t-il en ce moment le témoin stupéfait des horreurs commises par certaines unités de l’armée américaine en Irak. Il est normal, que des moralistes stigmatisent les actes inqualifiables des soldats transformés en bourreaux. On peut souhaiter toutefois qu’ils n’oublient pas toutes les données du drame et les responsabilités partagées. Rien ne serait pire qu’une dénonciation unilatérale du crime, qui fausserait la nature du jugement moral et refuserait, par principe, l’ambiguïté foncière de la dramatique humaine.
La vérité c’est que le monde est toujours à sauver et qu’aucune solution n’est à la mesure de la puissance du mal pour établir la tranquillité de l’ordre et de la justice. Le scandale du christianisme consiste à condamner cet éternel pélagianisme qui donne à croire que notre seule bonne volonté viendra à bout du mystère d’iniquité. Notre vrai recours est dans la puissance salvatrice de la Croix. Les Chartreux le savent bien : pendant que le monde tourne, la Croix demeure.
Gérard LECLERC