Une fois encore, la célébration du mystère pascal nous met au centre de notre vocation humaine et céleste, indissolublement mêlées. En tant que créature surgissant des mains divines, l’homme accomplit son chemin dans sa vérité totale, dans sa chair et dans son esprit. Et le Christ constitue le modèle suprême, l’archétype de notre propre entrée dans la vraie Vie, qui est déjà réalité ici-bas. Pour les chrétiens en attente du retour de leur Seigneur, à la Parousie, l’histoire s’est déjà accomplie dans l’événement de l’Incarnation, dans la mort et la Résurrection du Sauveur. C’est pourquoi, il est vain de séparer à l’excès les étapes de la Pâque, comme on le fait un peu trop souvent dans les polémiques actuelles. Pour l’évangéliste saint Jean, la Croix est une montée dans la gloire qui appartient au mouvement même de la Résurrection.
Ce n’est pas une raison pour sous-estimer les souffrances de l’agonie, de la crucifixion et de la mort. Elles constituent un poids de réalité dont il est impossible de nier la cruauté, sous peine de risquer ce docétisme, qui fit tant de ravage aux origines du christianisme. Sans nul doute, le Vendredi Saint sans la nuit de Pâques est privé de son sens. Pour autant, il constitue une étape du passage, indispensable pour nous tous. Elle éclaire, en effet, l’énigme souvent insupportable du mal. La déréliction de ce monde se trouve transfigurée en ce que saint Paul appelle une masse éternelle de gloire. Comme le disait le Père Balthasar : “Les plus abominables tortures, les prisons, les camps de concentration et les pires horreurs se tiennent à proximité de la Croix ; car on y vit la même nuit totale, au fond de laquelle ne se peut plus proférer qu’un “pourquoi ?” vide de sens”.
Mais c’est à travers le mystère inconcevable de la kénose, de son délaissement (celui qui appelle sur ses lèvres les paroles du Psaume : “Pourquoi m’as-tu abandonné ?”), que le Seigneur Jésus est dans la glorification suprême. Une glorification dont il nous fait don dans notre affrontement avec le mal, mais qui lui est aussi d’abord, absolument singulière. Seule le Christ pouvait supporter le péché du monde, être investi par ce péché au point de s’y identifier, comme le dit saint Paul (“Il s’est fait péché pour nous”). L’épreuve de la souffrance humaine est surdéterminée par l’épreuve de la Rédemption. Et si tout supplicié reflète à sa façon l’image du Christ, aucun n’a supporté comme Lui cette charge de péché assumée de telle façon que dans le passage du Vendredi à la Nuit pascale, la mort se trouve définitivement vaincue. Le Ressuscité porte les stigmates de sa Passion glorieuse et nous ouvre à nous aussi les portes de la gloire.
Gérard LECLERC