La Passion du Christ, le film de Mel Gibson, est donc sorti sur nos écrans cette semaine. Parmi les chrétiens, les opinions sont extrêmement contrastées, de l’adhésion totale au rejet. Les arguments s’échangent, avec d’autant plus de convictions que nulle indifférence n’est possible à propos d’un tel sujet. Mettre en scène la Passion ne relève pas de la simple reconstruction historique. Elle implique nécessairement l’entrée dans une dramatique où l’homme perçoit l’ampleur abyssale de sa vocation et le tourment d’une liberté en tension avec un appel qui surdétermine tous ses horizons. Notre vie affronte le grand partage. Qui plus est, c’est Dieu qui s’engage dans cette aventure, en assumant le poids de l’Incarnation. Pour oser une telle entreprise, il faut ou bien une démesure héroïque, ou bien une humilité radicale, avec le risque de l’incompréhension et de la contradiction sans médiation.
S’il faut faire un aveu personnel, je dirai que ce film m’a énormément touché, parce qu’il m’a fait admettre l’horreur absolue des souffrances du Christ. On attribue au Saint-Père, ce simple commentaire après qu’il ait vu le film, dans une projection privée : “C’est comme c’était”. On comprend que le Vatican ait démenti, voulant garder en cette affaire la plus jalouse indépendance. Mais la question est tout de même posée en ces termes. Et ce n’est pas pour rien qu’un penseur aussi prévenu contre le vertige de la violence, comme René Girard, a défendu le film, dans un superbe plaidoyer (Figaro-magazine du 27mars) : “Mel Gibson se situe selon une certaine tradition mystique face à la passion “Quelle goutte de sang as-tu versée pour moi”. Il se fait un devoir de se représenter les souffrances du Christ aussi précisément que possible, pas du tout pour cultiver l’esprit de vengeance contre les Juifs et les Romains, mais pour méditer sur notre propre culpabilité.
Pour ma part, j’écoute avec le plus grand respect et la plus grande attention les arguments contraires. Ils sont tous recevables, ils ont tous un degré certain de pertinence. Le pari de Mel Gibson ne défiait-il pas l’impossible. Il savait d’ailleurs fort bien que pour comprendre ce qui s’est passé à Jérusalem, il fallait le regard de Marie. Qui aurait pu saisir qu’avec ce visage défiguré, ce corps qui n’avait plus forme humaine, s’accomplissait le salut du monde ? Pour entrevoir le mystère de l’amour absolu, de l’offrande au Père, il faut avoir la liberté intérieure qui permet d’accéder à ce qui s’accomplit au-delà du lynchage apparent. « Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne. »
Bien sûr, la tâche de l’Eglise ne consiste pas à se mettre à la remorque d’un film, pour le louer ou le critiquer. Elle me semble bien plutôt se situer dans un service de discernement, qui permet à partir d’une opportunité, d’approfondir théologiquement et mystiquement la Pâque du Seigneur. Comment ne pas aller à la rencontre des jeunes passionnés de cinéma et ignorants du mystère chrétien pour engager un dialogue sérieux, sans concession. Une remarquable note doctrinale, à l’initiative de l’épiscopat, nous y invite. Impossible de nous dérober.
Gérard LECLERC