Qu’une chaîne de télévision à vocation culturelle comme Arte décide d’aborder la question de l’origine du christianisme, nous devrions normalement nous en féliciter. L’exégèse biblique est une discipline encore réservée au petit nombre, même parmi les chrétiens. Ce qui n’est pas un signe de bonne santé intellectuelle et spirituelle. Nous n’avons donc aucun a priori contre une démarche qui consiste à faire découvrir à un public élargi les fondements historiques de notre christianisme, à l’aide d’une initiation à l’intelligence critique des
textes. Nous regrettons simplement que cette dernière s’opère d’une façon si partiale et selon une méthode dont nous contestons le bien-fondé ainsi que la déontologie.
Gérard Mordillat et Jérôme Prieur s’étaient déjà fait connaître sur Arte par une série d’émissions intitulées Corpus Christi conçues selon les mêmes principes. Nous avions, en son temps, expliqué les raisons de notre désaccord et de notre mécontentement (cf France Catholique 16 mai 1997). Ce que nous écrivions alors, nous pourrions le reproduire sans changer un mot : “L’entreprise menée par les réalisateurs d’Arte s’insère dans une stratégie d’évitement des questions essentielles, avec la volonté très explicite de déplacer le sujet d’interrogation. Pour eux les évangélistes sont d’abord des propagandistes qui mènent une lutte d’hégémonisme religieux contre le judaïsme. Dès lors, tout se ramène à rechercher comment les chrétiens ont mené cette lutte et comment la figure de Jésus s’est trouvée ainsi érigée en contre-modèle du judaïsme”. Tel est l’objet précis, encore, de cette nouvelle série sur l’origine du christianisme, qui entend à partir du décryptage des Actes des Apôtres, et des épîtres de saint Paul apporter la démonstration conforme à l’idéologie des deux réalisateurs.
Gérard Mordillat et Jérôme Prieur sont des rationalistes, convaincus que le christianisme est une pure fabrication à laquelle Jésus n’a jamais songé, et qui se serait forgée à coup de “contradictions, contorsions et illusions”. Ce sont ces dernières qu’ils entendent révéler au public à
l’aide d’un montage télévisuel. Celui-ci consiste en une sorte de dialogue fictif entre des spécialistes de diverses convictions, qui discutent apparemment entre eux d’un certain nombre de problèmes posés au premier et au second siècles de notre ère. Mais les “conducteurs” de ce récit, qui en possèdent les clés, sont maîtres absolus du déroulé de la démonstration, n’apparaissent jamais à l’écran. L’apparente objectivité d’un débat ouvert à la pluralité des opinions des spécialistes se trouve piégée par le projet des deux réalisateurs dont la conviction ne se révèle explicitement que dans un livre qu’ils publient parallèlement. (1) Nous voulons, une nouvelle fois, protester contre ces procédés qui ne sont pas acceptables et agressent la foi chrétienne au moment même où l’Eglise célèbre la Pâque du Seigneur.
Gérard LECLERC