Haïti est un pays désespérément voué au chaos. C’est pour nous une source de tristesse à raison de notre proximité historique, culturelle et spirituelle. Cette moitié d’île des Caraïbes, qui se détacha de la France sous Charles X, est toujours francophone et catholique. Les relations avec l’ancienne puissance coloniale continuent à alimenter un climat orageux, où l’amour-haine produit en même temps signes de connivence et ressentiment. Le président déchu, Jean-Bertrand Aristide est bien le symbole de ces contradictions. Son départ forcé de Port-au-Prince, pour un asile africain, constitue l’illustration amère d’une sorte d’impossibilité – faut-il dire morale ou ontologique ? – de relever la tête pour l’un des peuples les plus malheureux de notre temps.
Pourtant un espoir semblait s’être levé sur Haïti. On se souvient de la fameuse déclaration de Jean-Paul II : “Il faut que les choses changent ici !”. La disparition d’une dictature de cauchemar, celle des Duvallier, n’annonçait-elle pas une mutation à laquelle la personnalité de celui qui était encore le père Aristide conférait une tonalité de “théologie de la libération” ? Quelles que soient les objections de fond que pouvait susciter ce courant de pensée, ce prophétisme parfois équivoque, il était impossible de ne pas y reconnaître une vraie aspiration à la justice. Et si la part de dialectique marxisante de ses théoriciens pouvait faire le lit d’un révolutionnarisme de type castriste, on pouvait quand même escompter que l’inspiration évangélique pourrait déboucher sur un autre modèle, plus coopératif, plus équitable, moins totalitaire mais aussi moins spéculatif.
L’espoir s’est trouvé cruellement trompé. Celui qui fut “le curé des bidonvilles”, ne disposait-il pas d’une vraie grâce sacerdotale ? Certes, les gens avertis ont très tôt craint le pire, en devinant que certaines contradictions natives produiraient leurs dégâts. Quand le vaudou se mêle à l’Evangile, l’esprit des Béatitudes est en péril. L’inspiration “prophétique” risque de se dévoyer, lorsqu’elle n’est pas une vision politique rationnelle. Le socialisme et la démocratie sont réduits aux slogans lorsque manquent de solides vertus sociales ainsi que la construction de structures civiles. Il serait trop facile de rejeter toutes la responsabilité du gâchis sur un seul homme, dont la tâche était démesurée. Mais on demeure perplexe, et douloureusement “sonné” par une dérive aussi vertigineuse. En trahissant tous ses idéaux, en transformant son pouvoir en système de corruption, en perpétuant le régime de la violence, c’est d’abord lui-même que Jean-Bertrand Aristide a trahi. Sa responsabilité première, c’est l’espoir trompé de son peuple.
Gérard LECLERC