Nos amis britanniques se soucient, nous dit-on, du fait que l’on enseigne les religions à l’école, alors que beaucoup d’entre eux n’en pratiquent aucune. Aussi, l’autorité chargée d’établir les programmes scolaires en Angleterre a-t-elle fait part de son souhait “de voir les élèves étudier les convictions non religieuses dans le cadre de l’éducation religieuse”. Ainsi, s’efforcera-t-on de corriger le déséquilibre qui joue aujourd’hui en faveur des religions et oblige les élèves à s’identifier à des croyances auxquelles ils sont étrangers. A priori, on pourrait s’étonner d’un tel état d’esprit, car il paraît peut vraisemblable que les programmes scolaires ignorent ce qui, dans la culture européenne, au moins depuis le XVIIIe siècle, s’oppose à la religion, que Karl Marx considérait comme l’opium du peuple. Ignorerait-on, outre-Manche, les furieuses attaques de Nietzsche contre le christianisme et la vulgate freudienne sur l’illusion religieuse ?
Surtout, il est permis de se demander si les responsables des programmes scolaires anglais se sont interrogés sur la signification des convictions non religieuses. Le propre des grands systèmes antireligieux, ceux qui se sont affirmés comme tels au vingtième siècle, est de se manifester en termes violemment polémiques, si bien que l’on doit parler d’antithéisme plutôt que d’athéisme. C’est la grande philosophe Hannah Arendt qui expliquait que les Lumières s’étaient trouvées incapables de démontrer rationnellement l’inexistence de Dieu. Cela permet de comprendre pourquoi, au lieu de développer une sorte d’incroyance tranquille, les systèmes athées n’ont cessé de monter à l’assaut des convictions religieuses, en persécutant le plus souvent les croyants, au prix des grands systèmes concentrationnaires et homicides de l’histoire.
Nos amis anglais mesurent-ils le danger de donner à étudier aux élèves des doctrines dont le seul ressort étant critique, s’exposent naturellement à la contre-critique ? A moins d’en revenir aux matérialistes de l’Antiquité, dont la doctrine ne résistera pas aux conceptions modernes de la matière, nos braves pédagogues britanniques devront se débrouiller d’idéologies qui ont trouvé dans le ressentiment l’essentiel de leur force de persuasion. Ont-ils bien réfléchi qu’ils risquent de suivre a contrario les convictions religieuses qu’ils voulaient relativiser ? Car les enfants britanniques risquant de se piquer au jeu de cette controverse, vont peut-être chercher les raisons profondes de cet antithéisme. De non-question, Dieu pourrait alors redevenir la question essentielle. Celle qu’aura éveillée la fureur des grands contemporains, dont l’idée, disait Dostoïevski, plutôt que de les délivrer, les a dévorés ?
Gérard LECLERC
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