La question du voile islamique était-elle si grave pour le pays qu’elle justifiait un tel remue-ménage ? Il n’y a pas si longtemps, on débattait avec énergie du déclin de la France, alors que la querelle autour de l’intervention américaine en Irak n’avait pas fini de mettre aux prises des intellectuels très partagés. Fallait-il que la menace de division sur des critères confessionnels ou communautaristes fût devenu déterminante, pour que tous s’émeuvent d’un seul mouvement et débattent avec la plus grande passion de l’opportunité d’une nouvelle loi sur la laïcité. Si difficile que soit à régler pour des chefs d’établissement l’intrusion de jeunes filles voilées sur le domaine scolaire, il est permis de remarquer qu’une façon par trop obsessionnelles de traiter le sujet aggrave les problèmes plus qu’il ne les règles. La loi annoncée par le président de la République dans son intervention du mercredi 17 décembre rendra-t-elle service aux intéressés, en leur apportant le soutien qu’ils attendent ? On peut le souhaiter sans échapper à un doute tenace.
Si on lit bien le rapport de la commission Stasi sur la laïcité, on s’aperçoit, en effet, que le pays n’est nullement démuni en fait de législation sur ce type de difficultés. Il apparaît donc que l’embarras et l’indécision de certains ne s’expliquent nullement par un vide juridique, mais par un malaise persistant dont la cause est à rechercher dans une sorte d’incertitude identitaire. L’emphase qui accompagne l’emploi du mot laïcité est plus révélatrice d’un trouble que d’une certitude tranquillement partagée. Il ne fait pas de doute que c’est la présence désormais massive d’une communauté musulmane qui oblige le réexamen des notions que l’on croyait les plus incontestables. Un siècle après le choix de séparation de l’Eglise et de l’Etat, on ne se fait pas faute de célébrer les mérites d’une laïcité apaisée. C’est donc qu’un modus vivendi s’était pragmatiquement établi entre les catholiques et la République. Force est d’admettre que l’islam remet en cause l’équilibre obtenu, du fait de ses mœurs, de sa conception du lien social et politique.
Rien n’interdit de penser qu’une évolution bénéfique permettra de surmonter les obstacles. Mais nous n’en sommes pas là. La République, ébranlée, essaie de se ressaisir, pour se comprendre elle-même, mettre en perspective son passé pour mieux juger de la permanence de ses valeurs et de ses principes. Le discours solennel de Jacques Chirac nous paraît correspondre à un tel état d’esprit. N’est-il pas remarquable que le Président n’ait pas hésité à parler de la France comme d’une vieille terre chrétienne, accueillante à d’autres traditions ? Reconnaître un tel fait manifeste, ce n’est pas exclure, c’est rappeler une histoire incontestable. On s’interroge, dès lors, sur le refus obstiné manifesté à rappeler cette évidence, dans la “Constitution européenne” en discussion…
Gérard LECLERC