Assemblée plénière de l’épiscopat français, qui se réunit à Lourdes cette semaine, n’a pas craint d’aborder de front un sujet ambitieux, d’une actualité brûlante et qui donne lieu à des débats d’autant plus mouvementés qu’ils plongent dans un passé tourmenté et se rapportent aux questions de société les plus ardues. Les évêques en effet, veulent faire le point sur la présence de l’Eglise dans la société française, en dressant le bilan d’un siècle de relations avec l’Etat laïque et en exa-minant comment se posent désormais, dans un paysage social transformé, les relations entre le monde civil et le religieux. C’est avec le plus vif intérêt que nous suivons les travaux de nos évêques, secon-dés par des experts de qualité comme René Rémond et Guy Coq. Nul doute que, depuis la loi de séparation de 1905, nous n’ayons fait des progrès. Il est heureux que la notion de laïcité s’entende désormais comme une saine séparation des domaines, qui permet l’exercice de la liberté religieuse.
Cependant, si importante que soit la médiation politique, elle ne saurait faire oublier l’enjeu culturel qui prédo-mine dans l’organisation et l’animation de la cité. Si le problème du communautarisme apparaît comme un danger pour la République, c’est que celle-ci éprouve une certaine impuissance devant le fait massif d’une culture et d’une pratique qui débordent ses cadres conceptuels et juridiques. En dépit du contentieux considérable entre les deux France issu de la rupture de la fin du dix-neuvième siècle, un compromis est tout de même apparu possible, grâce à un pragmatisme prudentiel et à la reconnaissance d’un certain nombre de valeurs communes. Valeurs que l’enseignement public transmettait en reconnaissant Pascal et Voltaire, Chateaubriand et Michelet comme partenaires d’un même patrimoine.
Il n’est plus possible, en 2003, de s’appuyer sur les mêmes bases culturelles pour établir le socle incontestable d’une communauté de destin. Pour des raisons complexes dont la première pourrait bien être l’éclate-ment de la culture clas-sique, où se reconnais-saient peu ou prou ceux qui croyaient au Ciel et ceux qui n’y croyaient pas. La culture, au-jourd’hui, ne se reconnaît plus dans un patri-moine littéraire. Elle peine à se reconstituer à travers un imaginaire télévisuel instable où les jeunes Français se trou-vent des modèles à mille lieues des héros de leurs grands-parents. D’où le désarroi des respon-sables qui se demandent sur quoi rebâtir le lien social. Un grand humaniste comme George Steiner avoue son découragement, sans renoncer à un miracle possible. Nos évêques, d’évidence, ne sont pas disposés à se laisser aller au désenchantement. Ils ont une arme absolue contre la désagrégation culturelle et sociale, c’est l’Evangile. C’est-à-dire la parole qui peut faire toutes choses nouvelles, inépuisable source de culture et prin-cipe de reconnaissance mutuelle. Mais il y faut d’abord la foi ; celle qui suscite les nouvelles évangélisations.
Gérard LECLERC