Est-il vrai que le processus de déchristianisation de l’Europe constitue un phénomène irréversible ? La rumeur s’est amplifiée, ces temps derniers, notamment autour du jubilé de Jean-Paul II. Claude Imbert, éditorialiste du Point, ne craint pas d’assumer ce pronostic, il l’explique par un désarroi théologique, qui mettrait la foi islamique en situation de supériorité par rapport à l’Incarnation chrétienne. D’autres reprennent la thématique de l’éclatement de la conscience religieuse qu’aucune structure dogmatique ne saurait réorganiser. D’où un prétendu succès du bouddhisme, qui aurait d’avantage de correspondre à la non-directivité de la modernité avancée, dite encore post-modernité. Les hebdomadaires font ainsi leur dossier sur le déclin des religions et l’essor des spiritualités, ces dernières étant créditée d’une meilleure acceptabilité aux parcours individuels, rebelles aux dogmes et aux disciplines canoniques.
Du point de vue du constat sociologique, il y a, d’évidence, une part de vérité dans ces descriptions générales. Elles souffrent, pourtant, de quelques défauts graves. Le premier d’entre eux consiste dans la superficialité de l’analyse. On oublie de dire que l’errance spirituelle se paie très souvent d’échecs, par manque de sérieux et de persévérance. L’exemple de la mode bouddhiste est particulièrement frappant. Et ce sont les bouddhistes authentiques qui se montrent les plus réservés sur ces prétendues conversions, d’autant plus éphémères qu’elles s’appuient sur une connaissance très lacunaire des doctrines, quand ce n’est pas sur des contre-sens absolus. Le bouddhisme profond est le contraire même de cette soft-religion qui serait dépourvue des rigidités doctrinales du catholicisme. Il se fonde au contraire sur des spéculations d’une complexité inabordable à la Pop’sociologie et sur des pratiques ascétiques à faire fuir tous les amateurs de confortables expériences intérieures.
Il convient donc de relativiser la prétendue évolution spirituelle qui éloignerait l’Europe de son christianisme originel. Cela ne veut pas dire que la situation de l’Eglise soit bonne dans nos pays d’ancienne évangélisation. Depuis un demisiècle, tout un encadrement ecclésial s’est effondré, en entraînant avec lui la dissolution de tout un tissu social sans lequel la foi ne se transmet pas aux générations nouvelles. Celles dont la non-culture religieuse est devenue un objet d’étonnement pour ceux qui ont oublié qu’on ne subit pas impunément “l’éclatement du christianisme”. Eclatement que célébraient à l’envi, des intellectuels en mal d’aventurisme spirituel avant que Jean-Paul II ne remobilise les énergies missionnaires au nom de la nouvelle évangélisation. On ne réévangélise pas une civilisation en quelques années. L’exemple du passé nous montre qu’il y faut l’engagement résolu d’une communauté chrétienne qui retrouve ce que l’auteur de l’Apocalypse appelle la ferveur première, celle qui résulte de la foi des témoins du Ressuscité.
Gérard LECLERC