Ce n’est évidemment pas sans tristesse qu’un homme de ma génération est obligé de signifier son désaccord total à celui qui fut si présent dans les années d’après-guerre pour incarner une charité concrète à l’égard des pauvres et des sans-logis. L’abbé Pierre c’était tout simplement pour nous saint Vincent de Paul redivivus. Certaines scènes, certains appels sont restés marqués dans nos mémoire et rien les effacera. Certes, il est déjà arrivé plus d’une fois que le langage de l’abbé nous heurte, mais nous lui pardonnions bien volontiers ses écarts. Lorsqu’on est, par définition, la voix des sans voix, l’excès surgit de l’effroyable qu’on dénonce et l’insupportable permet parfois des coups mal ajustés. Nous n’étions pas mécontents que la célèbre silhouette, cape aux vents, soit devenue l’icône des Français et le plus populaire d’entre eux, même si nous agaçait quelque peu cette propension à le laisser instrumentaliser par la machine médiatique, ce dispositif de séduction d’une redoutable ambiguïté.
Mais cette fois-ci, l’abbé s’est prêté à une opération, dont il n’aurait peut-être pas imaginé toutes les conséquences – c’est déjà un signe de confondante naïveté – meurtrière à tous égards. Meurtrière tout d’abord pour lui-même, qui y perd toute crédibilité véritable, si tant est qu’elle ait été jusqu’ici fondée sur sa mission de prêtre et de fils de l’Eglise. Meurtrière pour le message qu’il entendait proclamer, pour peu qu’il se voulût fidèle à l’Evangile. Meurtrière pour la communion ecclésiale qui se trouve profondément blessée par des propos qui sont en opposition grave aux convictions sans cesse rappelées par les papes et les évêques – en continuité avec une Tradition ininterrompue depuis la Révélation.
Qu’on nous comprenne bien. Notre désaccord ne porte pas sur une confession publique de fautes que l’abbé avoue avec humilité, se reconnaissant pécheur avec une humanité – la nôtre – en quête de miséricorde. Il s’affirme, avec fermeté, lorsque l’abbé Pierre prétend reformuler les exigences de la morale, s’alignant sur une mode intellectuelle perverse et contredisant l’enseignement biblique le plus formel. Le plus grave n’est pas de contester la discipline occidentale du célibat sacerdotal, même si on déplore que les raisons sérieuses de son maintien, exprimées lors du dernier synode, soient éludées et qu’ainsi on mêle sa voix à une campagne démagogique. Le plus grave, c’est que l’abbé ose prôner une alliance instituant une union homosexuelle, alors que le mot désigne dès l’origine le pacte noué entre Dieu et l’humanité. La cohérence de la provocation du fondateur d’Emmaüs, en opposition avec les exigences de la sainteté divine, n’est que trop évidente. Il suffit de lire la presse qui s’en réjouit. Elle est “mondaine”, délétère, sourdement approbatrice de l’idéologie qui déstabilise les familles. En un mot, elle est désastreuse. L’abbé Pierre le comprendra-t-il, pour un sursaut salvateur ?
Gérard LECLERC
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