Entre fondamentalisme religieux et fondamentalisme laïciste, serions-nous contraints de choisir ? Certes la menace islamiste n’est nullement illusoire et le danger communautariste dénoncé par certains, non sans raisons sérieuses, n’est pas une solution acceptable dans notre pays. Pour autant, la défense de la laicité n’oblige pas à s’inscrire dans la tradition violemment anti-cléricale dont quelques-uns propagent, en ce moment, la trouble nostalgie. Il n’y a pas lieu d’opérer des généralisations indues à partir des provocations de tel personnage original, qui porte son anticléricalisme en bandoulière comme d’autres leurs obsessions ordinaires. Mais on ne peut rester sans réaction face à un mouvement d’opinion qui pourrait radicaliser une réaction laïciste épidermique.
Récemment le sénateur Michel Charasse déclarait au Point (18 juillet) : “Je ne fais aucune différence entre les culs-bénis selon qu’ils portent le voile ou la soutane. Je leur demande seulement de faire leurs salamalecs dans un coin, sans gêner ni forcer personne”. On pourrait rétorquer au sénateur qu’il est libre de prolonger le courant rationaliste et laïciste, immortalisé par Flaubert en la personne du célèbre pharmacien Homais, mais que ce n’est pas forcément en utilisant les armes du mépris et de la moquerie qu’il se montrera à la hauteur des exigences de la responsabilité du politique. La question de la liberté religieuse est trop importante pour être ainsi escamotée. L’intolérance frisant le sectarisme.
Plus grave, d’une certaine façon, est encore la position affirmée par un écrivain comme Kateb Yacine, qui explique au Nouvel Observateur (30 juillet) son hostilité foncière au fait religieux.
Car, dépassant le côté épidermique de Michel Charasse, il assimile toute religion à une emprise sociale de type totalitaire. “Toutes les religions commencent par exalter la liberté de l’homme et finissent par le réduire en esclavage”. Nous ne voulons pas faire de procès unilatéral à Kateb Yacine, mais nous pourrions tout de même lui rappeler que c’est au nom d’une pareille argumentation que le totalitarisme moderne a eu la prétention d’éradiquer définitivement le phénomène religieux.
Dans la même logique, c’est d’ailleurs toute liberté d’esprit qui s’est trouvée persécutée ou annihilée. C’est pourquoi un agnostique comme le Polonais Adam Michnik, pouvait se réfugier dans les églises et écouter la liturgie simplement pour retrouver le goût des choses de l’esprit et de la liberté intérieure.
Dussions-nous surprendre nos interlocuteurs allergiques à toute expression de la foi, c’est au nom de ces idéaux que nous plaiderions pour l’existence visible et paisible du fait religieux dans notre civilisation. Loin d’y voir une menace d’étouffement et de conformisme intellectuel, nous y discernons le sursaut de l’homme intérieur capable de briser la chappe de plomb du matérialisme le plus épais et d’un univers médiatique qui nous voue à la condition de robots programmés.
Gérard LECLERC
Pour aller plus loin :
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